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· LECTURES ET FILMS

Claire de plume, Damien Luce

Dans « Claire de plume » paru en 2017 aux éditions Héloïse d’Ormesson, Damien Luce donne la parole à sa sœur Claire, née différente. En s’adressant à Adrien, le fils de l’auteur, Claire raconte sa naissance, la complicité avec ses deux frères, Damien et Renan, leur enfance en Bretagne, le couple parental dont l’amour est un repère puissant, les cours de musique, les aventures avec les voisins, les vacances au bord de la Méditerranée. L’écriture ultra poétique de Damien Luce fait revivre les sensations de l’enfance: « Accroupis sous les épis qui nous dépassent de cinq têtes, nous plantons nos canines dans le maïs cru. Nos lèvres sont souvent maquillées à l’encre des mûres sauvages. Nos dents fleurent la châtaigne, nos joues le bois de chêne ou le foin à demi fermenté des granges environnantes. Le lit des rivières appose son sceau à la plante de nos pieds. »

Elle évoque son handicap, les difficultés de la scolarisation, les mots-prisons de certains professeurs :

"« Elle ne pourra pas ». Quatre mots, c’est peu pour planter un destin. Quatre graines rabougries déposées entre les mains de ma mère. Mais cette maîtresse avec un « m » minuscule ignore quelle femme se tient en face d’elle, en cet après-midi de septembre. Or, cette femme, c’est une maman, et pas n’importe laquelle : la mienne. A compter de ce jour, maman fera ce que les mères font : des miracles, jour après jour. Et des quatre graines rabougries, elle fera tout un jardin."

Elle ne tait pas la violence du rejet à l’école, les humiliations subies et la solitude : « Je suis une sorte d’objet encombrant, dont nul ne sait que faire, et que chacun tente de refiler à son voisin », « Pour ami, je n’ai longtemps que les fourmis qui sillonnent les dalles de la cour ».

C’est également une manière originale de parler de soi que de choisir un proche comme narrateur. A travers la voix pleine de tendresse de sa sœur aînée, Damien Luce se livre sur les multiples passions qui ont nourri son adolescence, ses premières amours, sa dépression aussi.

Le récit est ponctué des interventions de Zaratoucha, un chat plein de sagesse. Ces passages sont autant de respirations philosophiques sur la création, l’amour, le rapport à la mort ou encore l’enseignement:

«Ne t’assois pas pour enseigner si tu ne t’es pas d’abord levé pour créer, c’est-à-dire pour te soumettre

à tes propres failles, à tes propres obstacles. Car la création est d’abord humilité. Oui créer, c’est prendre un risque. »

Ce qui m’a le plus frappée dans ce livre c’est la manière dont la présence dans cette famille d’une personne extra-ordinaire a tout agrandi chez ses proches: l’imaginaire, la sensibilité, l’amour. Et l’écriture de Damien Luce restitue cette richesse avec une rare élégance.

Cécile Glasman