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· DIALOGUE

Entretien avec Maxime Gillio, auteur de "Ma fille voulait mettre son doigt dans le nez des autres" par Cécile.

Dans votre livre, « Ma fille voulait mettre son doigt dans le nez des autres » publié en 2017 aux éditions Pygmalion, vous reprenez des billets que vous aviez écrits sur une page Facebook destinée à votre fille autiste, Gabrielle, et vous les augmentez de textes plus analytiques. A chaque chapitre nous lisons donc de petits récits, constituant des souvenirs pleins d’émotion, et des textes plus réflexifs. Vous marquez d’ailleurs ce passage par un changement de police. Grâce à ce procédé vous conservez la spontanéité de ces billets tout en ajoutant des éléments, en remettant les événements en perspective. Comment est né ce projet de livre ? Cette manière d’organiser les textes vous est-elle venue de façon immédiate et évidente ?

Quand j'ai créé cette page Facebook, il n'y avait aucune visée éditoriale. Vraiment. Je ne savais pas à quelle fréquence j'y écrirais, combien de temps, etc. C'était une soupape, dans laquelle je ne m'imposais rien, ni sur le fond ni dans la forme. Aussi, quand mon éditrice m'a proposé de les publier, je me suis longuement interrogé. D'abord, il fallait quand même gommer une certaine oralité ou un côté brut qui passe sur Facebook, mais pas sur papier, mais ensuite, la question était en effet de savoir comment les remettre en contexte, prendre du recul tout en gardant la spontanéité, revenir parfois plusieurs années sur des événements passés. C'est alors qu'on m'a suggéré cette brillante idée des passages intercalés dans lesquels je ne m'adresse non plus à ma fille, mais au lecteur, avec recul et remise en perspective.

Vous expliquez dans l’avant-propos que vous n’imaginiez pas à l’époque où vous les écriviez régulièrement sur Facebook que vos textes toucheraient autant de monde. Quels retours les lecteurs vous faisaient-ils ?

Ah vraiment, non, je ne m'y attendais pas. Egoïstement, je pensais que je ne parlais qu'à Gabrielle, avec ses spécificités, mais en réalité, j'ai compris que c'était un père qui parlait avec son enfant, quel que soit son profil. Les nombreux retours étaient d'ordres différents. Il y avait ceux des gens touchés de près ou de loin par le handicap, qui me remerciaient d'avoir mis des mots sur les réalités, ou simplement me faisaient part de situations analogues vécues de leur côté. Il y avait les témoignages de ceux qui ne connaissaient pas vraiment l'autisme, et qui me remercient pour ce cours particulier de rattrapage. Mais il y a eu aussi quelques témoignages, ceux qui m'ont le plus touché, venant d'autistes eux-mêmes, souvent sans filtre, mais qui disaient se reconnaître dans nos anecdotes, et d'autres choses plus intimes encore, que je préfère garder secrètes.

L’une des choses que j’ai préférées dans votre récit c’est ce mélange de grande tendresse et d’humour décapant. Vous citez d’ailleurs le livre de Jean-Louis Fournier, « Où on va, papa ? », que j’ai lu et beaucoup aimé il y a plusieurs années, et qui aborde la question du handicap avec un humour noir et cinglant. Diriez-vous que l’humour vous a aidé à traverser les moments éprouvants liés à l’autisme de Gabrielle ? Est-ce une manière aussi d’entretenir une complicité avec votre fille ?

Je ne sais pas si ça aide à les traverser, mais ça m'aide à en parler. Je ne suis pas certain que la différence soit si évidente à saisir… Au moment où nous devons affronter des obstacles, honnêtement, l'humour ne m'est d'aucune aide. Je n'ai pas assez de recul. En revanche, quand il s'agit de revenir dessus après coup, ou d'en parler, oui, ça m'aide. C'est un humour à la fois vachard et tendre, mais c'est viscéralement ma façon d'être, face à toutes les embûches de l'existence, pas seulement face au handicap de Gabrielle, qui a par ailleurs beaucoup d'humour. Quand je lis ou j'entends que les autistes n'ont pas d'humour ou ne savent pas manier le second degré, c'est à nuancer fortement. C'est vrai que l'abstraction ou l'ironie ont parfois du mal à être perçues comme telles, mais l'incongruité et l'absurde font beaucoup rire ma fille. Et d'ailleurs, assister à une communication de Josef Schovanec, l'un des autistes les plus célèbres de France, c'est la garantie de pleurer de rire !

Vous racontez comment la scolarité de votre fille en CLIS pendant les années d’élémentaire s’est bien passée et comment au contraire le manque de communication entre la direction et les enseignants du collège a rendu chaotique son année de sixième. Vous aviez tout bien préparé en amont et les professeurs sont arrivés à la rentrée sans avoir été informés de la présence de Gabrielle et donc sans avoir pu anticiper et préparer sa scolarité. Vous expliquez dans ces pages que votre épouse et vous êtes enseignants et que vous vous êtes sentis trahis par les vôtres. En tant qu’enseignante je constate chaque jour à quel point l’inclusion scolaire est un vaste bricolage faute d’une formation solide et adaptée et de moyens réels. Vous avez quitté l’Education Nationale après douze ans d’exercice. Quels sont les souvenirs qui vous restent des années où vous aviez des élèves porteurs de handicap et quels sont selon vous les dysfonctionnements majeurs du système dans la réalisation de cette mission d’inclusion ?

Ouh, vaste question… Je vais essayer d'être le plus synthétique possible : vous l'avez résumé, les enseignants, et le personnel éducatif dans son ensemble, ne sont pas préparés à accueillir les enfants handicapés. Personne ne peut affirmer le contraire. A moins de se former, sur la base du volontariat, aucun module de sensibilisation n'est au programme de la formation. Et on parle bien de tous les handicaps : tous les dys, troubles du comportement, handicaps physiques, phobie scolaire, etc. Et que dire du manque de classes spécialisées, et pour lesquelles on a carrément enlevé les spécificités, ce qui fait que dans une même classe, l'institutrice spécialisée et les AVS vont devoir gérer de front un malentendant, un enfant myopathe et un TED...

Donc ce que je retiens, c'est qu'il y a un problème sanitaire, mais qui dépasse l'Education nationale. Un enfant sur 12 est porteur de symptômes autistiques. Un sur douze ! Donc tant qu'il n'y aura pas une volonté sociétale d'aborder cette réalité à bras le corps, tout ne reposera que sur des bonnes volontés, comme la vôtre ou celle de nombreux collègues. 

Gabrielle a, durant sa scolarité, rencontré des personnes extrêmement bienveillantes, comme d'autres néfastes, le plus souvent par ignorance ou par peur. Et parmi les bienveillantes, outre bien sûr le personnel adapté, il y a eu par exemple une documentaliste, une intendante ou une directrice d'établissement. Pourquoi ? Non pas qu'elles aient été touchées personnellement par l'autisme, non, juste parce que c'étaient des personnes ouvertes, qui voyaient une enfant souffrir dans leur établissement, et que cette situation leur était insupportable. Mais cet état d'esprit n'est hélas pas tout le temps partagé, et les anecdotes révoltantes qu'ont vécues Gabrielle ou certains de ses camarades de classe sont à pleurer ou à vous faire bouillir de rage.

Vous abordez la problématique de l’adolescence : rapport au groupe, découverte de la sexualité, violence du harcèlement et danger des réseaux sociaux et vous montrez à quel point ce qui est déjà en soi compliqué l’est encore plus pour un adolescent autiste. Quelles ressources vous ont aidés en tant que parents à traverser cette période éprouvante pour Gabrielle ?

Gabrielle est suivie depuis plusieurs années par le SESSAD de Dunkerque, et une éducatrice spécialisée qui nous est d'une grande aide. Mais sincèrement, c'est une période extrêmement éprouvante, car la difficulté réside dans l'absence de communication entre l'autiste et son entourage. Tous ces questionnements que vous listez, sont difficiles pour un adolescent, qui se prend les informations de plein fouet, sans savoir les hiérarchiser ni faire le tri. Or, c'est à ce moment que la parole est primordiale : l'adolescent parlera de ce qu'il a vu, lu ou vécu avec ses proches, ses amis, voire des professionnels, mais il aura toujours cette possibilité qui lui permettra de libérer la parole et d'avoir du recul. Pour l'autiste, c'est quasiment impossible, ou en tout cas très, très difficile.

Vous êtes l’auteur de plusieurs polars. Vous écrivez dans l’annexe de votre récit sur Gabrielle qu’écrire des romans policiers ne vous met pas vraiment en danger. Est-ce que la réalisation de ce récit très personnel sur votre fille a changé des choses dans votre écriture ?

Peut-être que d'avoir peur de refouler ses sentiments et d'être d'une réserve pathologique dès qu'il s'agissait d'exprimer des sentiments a pu nuire à la crédibilité de mes personnages… Je leur mets - un peu - moins de masques désormais.

Une partie des bénéfices de votre livre est reversée à Autilink, pourriez-vous nous présenter en quelques mots cette association ?

C'est une association visant à aider les autistes à s'insérer professionnellement. 85 % des autistes sont au chômage en France. Le chiffre est assez éloquent. Cf. ce que je disais avant sur le scandale sanitaire qu'est la prise en compte de l'autisme en France.

Enfin, comment va Gabrielle ? A-t-elle lu votre livre et si oui qu’en a-t-elle pensé ?

Elle l'a lu, oui, plusieurs fois. Elle aime parfois revenir sur les anecdotes les plus incongrues, avec un mélange de gêne rétrospective et de jubilation canaille !