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· DIALOGUE

Comment se comporter, communiquer avec des travailleurs sociaux,

le guide de Magali Pignard et l'Association Francophone de Femmes Autistes

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Avec d'autres membres de l'Association Francophone de Femmes Autistes (AFFA) vous avez réalisé un guide destiné aux parents autistes ou/et d'enfants autistes : " Comment se comporter, communiquer avec des travailleurs sociaux ". Comment l'idée de ce guide est-elle née ?

En fait nous aidons régulièrement des femmes autistes qui ont des soucis avec les travailleurs sociaux. Le déclic a été quand j'ai découvert les échanges mails entre l'une d'entre elles et le service d'aide sociale d'un département. J'ai compris ce que ces échanges ont pu provoquer comme impression chez les personnes de ce service (car les mails de cette mère faisaient au moins 2 pages Word et étaient terriblement bien étayés, et sonnaient comme une plaidoirie, avec moult références juridiques. J'avais juste l'impression de lire les conclusions d'un avocat sur une affaire, là où le travailleur social s'attend à une réponse de 2-3 lignes). Et je me suis dit : "Là il faut absolument qu'on briefe les femmes sur la façon d'écrire, et bien sur la façon de se comporter en général". Nous avons une rubrique "conseils" sur notre site et au début je voulais faire un simple article dans cette rubrique. Et puis il y avait beaucoup de choses à dire, du coup ça s'est transformé en guide.

Comme cela est très bien expliqué dans le documentaire de Marion Angelosanto, "Rachel, l'autisme à l'épreuve de la justice", de nombreuses caractéristiques liées à l'autisme correspondent à des signes d'alerte de danger pour un enfant : par exemple un retard dans les acquisitions psychomotrices, un enfant hyperactif ou replié sur lui-même, des troubles du sommeil, des troubles alimentaires… Du coup les parents d'enfants autistes ou eux-mêmes autistes peuvent vite être mis en cause à tort. Votre guide est très clair et détaillé et aide ces parents à s'en sortir au mieux lors de visites d'évaluation suite à une information préoccupante : conseils pour préparer l’entretien, pour accueillir le travailleur social etc … Le texte est accompagné de dessins présentant des situations concrètes et indiquant à la fois le discours et les pensées des différentes personnes, en montrant ce qu’il vaut mieux faire ou éviter.

Comment avez-vous construit ce guide ? Quelle a été votre méthodologie ? Avez-vous analysé des témoignages de parents en amont ?

En me documentant, j'ai réalisé que, tout comme dans la société il y a des codes sociaux à respecter, par exemple dire "merci" quand on reçoit un cadeau ou un compliment. Il y a une sorte de "code" à respecter si on ne veut pas avoir de souci avec les travailleurs sociaux. J'ai réalisé qu'il y a des choses à ne pas dire, ne pas faire : par exemple il faut veiller à son apparence physique, se rappeler que c'est l'apparence qui compte en premier, ce que voit la personne, et son interprétation ensuite, ce qui n'est pas intuitif pour les personnes autistes ; ou bien ne pas remettre en question les professionnels du service public. Et ces choses-là ne sont écrites nulle part. Les enfants autistes ont des cours d’habiletés sociales, et je me suis dit :

mais en fait il faudrait que les Centres de Ressources Autisme mettent en place des cours

d'habiletés sociales pour ces mères face aux travailleurs sociaux et toute personne très formatée par la société, tous ces pros de première ligne tels que médecin de PMI, puéricultrice de secteur, enseignant.

Au début j'ai travaillé seule et écrit des choses qui me semblaient totalement vraies, mais à charge contre les travailleurs sociaux, par exemple " Les travailleurs sociaux sont formés de telle manière à considérer une personne sortant de l’ordinaire comme étant suspecte. Il est conseillé donc de ne pas être soi-même, d’essayer de prendre le rôle d’une femme non autiste et adaptée à la société et consciente de ses codes. (..) La relation entre une personne en demande et un travailleur social n’est pas un rapport d’égal à égal, c’est un rapport de domination : il y a un dominant (lui) et un soumis (vous). Il y a le sachant, dont les positions/affirmations, ne sauraient être contredites, et celui qui apprend. (..) Dans la communication: lorsqu’il y a un souci, il ne faut donc surtout pas montrer que vous savez certaines choses mieux que le travailleur social. Il faut se mettre “en dessous”, même si ce qu’il dit est absolument faux, subjectif, et ne s’appuyant sur aucun élément concret autre que sa croyance en ce qu’il a appris."

Puis une membre de l'association m'a fait remarquer que c'était contre-productif car notre objectif n'est pas d'incriminer les travailleurs sociaux, que nous voulons également sensibiliser, 

et tous les travailleurs sociaux ne sont pas comme je le décris. Elle m'a ensuite beaucoup aidée à écrire le guide. Je me suis documentée sur des documents officiels, sur la notion de danger, de risque de danger (car nous voulions aussi être pédagogues donc expliquer comment se déroule tout le circuit de l'information préoccupante), puis je suis tombée sur ce guide destiné aux travailleurs sociaux du Rhône pour les aider à repérer des situations de danger, risques de danger. Je suis tombée de haut. Nous avons donc expliqué certains de ces signes d'alerte en considérant l'autisme, de manière à déconstruire les erreurs de jugement, et donner des pistes aux travailleurs sociaux qui liraient ce guide. Cette partie est donc surtout destinée aux travailleurs sociaux.

Ensuite naturellement nous avons donné divers conseils en partant de l'objectif de l'enquête sociale. Car c'est ce qui, selon nous, donne le "mode d'emploi", les "règles du jeu" de comment se comporter, tout comme dans un jeu de société ou jeu de rôle, ou il faut d'abord définir les règles. Ces objectifs ne sont jamais décrits nulle part pour aider ces parents, qu'ils aient un enfant autiste ou non, je trouvais que cela manquait beaucoup.

Une fois le texte terminé j'ai réfléchi aux illustrations. Une personne m'a parlé d'un logiciel de BD en ligne et je me suis mise à dessiner des "conseils illustrés" avec ce logiciel.

J'ai fait ensuite relire ce guide à une ancienne assistante sociale, en démarche diagnostique d'autisme, qui était chargée d'évaluer les IP, et qui donc sait très bien comment se passent les choses de l'intérieur. Elle m'a donné des suggestions très précieuses. Une avocate a relu aussi notre schéma sur le circuit de l'IP.

Quels retours avez-vous eus depuis la mise en ligne du guide ?

Nous venons de le mettre en ligne, donc peu de retours, mais ceux que j'ai sont très bons.

Ce guide n'est pas destiné qu'aux familles concernées par l'autisme. Je voulais qu'il soit aussi un outil de sensibilisation destiné aux étudiants dans le travail social, pour les aider à démêler les situations qui leur posent question. Car ce que nous avons compris avec ce guide, c'est à quel point être "hors du cadre" est risqué. Et ouvrir la vision des travailleurs sociaux sur cet aspect nous semble primordial, pas que pour les familles concernées par l'autisme, mais aussi par exemple pour une famille avec une culture différente. Je peux donner en exemple une assistante sociale qui trouvait suspect le fait qu'une mère donne des céréales et du lait à son enfant le soir, parce pour elle, c'est le matin qu'on donne cela. C'est dans notre culture.

J'ai contacté une responsable d'un organisme de formation dans le travail social qui s'est montrée très intéressée pour le diffuser aux étudiants.

En parallèle Adrien Taquet a été nommé Secrétaire d'Etat à la protection de l'enfance et je me suis dit qu'il y avait un coche à ne pas louper, pour notre projet. Je lui ai donc donné le guide, et ai parlé de mon ambition de mener une réelle sensibilisation auprès des étudiants en travail social. Pour information, il a annoncé la création d'un groupe de travail sur cette question, dans « Le Monde » :

Quelles sont les missions et actions de l'AFFA ?

Notre association comptait, au 18 novembre 2018, 144 membres. Au-delà de ces membres, il y a une centaine de femmes non diagnostiquées que nous accompagnons dans leur démarche diagnostique de Trouble du Spectre de l’Autisme. Nos axes d’action principaux sont : la sensibilisation sur les spécificités des femmes autistes, l’accompagnement des femmes dans leur démarche diagnostique, la prévention des violences faites aux femmes autistes, la maternité et l’emploi des femmes autistes.

Ce qui me frappe à la lecture de votre guide c'est son utilité pour tous les citoyens. On réalise à quel point cela doit être épuisant pour une personne autiste de se contrôler et d'anticiper ce que l'autre peut penser. Selon moi c'est un outil que tout le monde devrait lire attentivement, ne serait-ce que parce qu’il nous aide à nous mettre à la place des personnes autistes. En tant qu’enseignante je sais que cette lecture m'aura fait prendre du recul. Alors un grand merci !

De rien ! C'est tellement naturel pour nous de réfléchir à comment se comporter que je ne me rends plus compte que ça ne l'est pas pour tous.

Propos recueillis par Cécile Glasman

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