Entretien avec Hélène Elouard, AESH, comédienne, metteuse en scène et militante,
par Sabine.
Vous tenez un blog sur Mediapart,
votre dernier article «Nous AESH, ne voulons pas de votre condescendance» était notamment brillant, pertinent et percutant. Quel est votre parcours ?
Après un bac scientifique et des études de psycho, je suis devenue comédienne et metteuse en scène ainsi que formatrice en communication. J’ai aussi passé un diplôme en Droit Social. Puis, après une période de chômage, j’ai commencé à endosser ce rôle d’AESH, il y a 5 ans maintenant. J’ignorais que la situation des AESH était si catastrophique.
Je suis une militante de base, depuis toujours. Je suis féministe.
C’est après la création du Collectif AESH National CGT Educ’Action le 12 octobre dernier que Mediapart m’a proposé de tenir un blog.
La dernière publication est née de ma révolte massivement partagée par tous les AESH, au vu des retours nombreux qui affluent. C’est en effet insupportable d’être dans une telle situation, qu’au moment de se révolter,
de revendiquer des droits fondamentaux, ce ne soit pas notre parole qui soit écoutée, privilégiée.
Ces revendications, la majeure partie du temps, ce ne sont pas nous qui les portons. Comme si décidement nous n’étions pas légitimes, crédibles.
Par exemple, au lieu qu’un groupe d’enseignants écrive une phrase comme « Les AESH ont besoin de formation, ou autre… », il serait respectueux d’écrire « Les AESH expriment leur besoin de formation » pour souligner la demande des AESH et leur donner le pouvoir de leurs revendications. Comme toute classe dominée, les AESH veulent être maîtres de leurs paroles et de leurs actions, même si d’autres corps de métiers les soutiennent.
Les enseignants ne sont pas réellement conscients de ce que nous éprouvons. De la souffrance engendrée par cette situation. Cela devient de plus en plus insupportable qu’ils parlent, que l’on parle à notre place car nous sommes maintenant capables de le faire. Au début, peu d’AESH osaient parler, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Nous réclamons notre place. Cette profession est très corporatiste, et trop souvent condescendante à notre endroit, surtout dans le 1er degré.
Les AESH viennent d’horizons très variés, nourris souvent d’une expérience dans divers domaines.
La connaissance et les compétences acquises dans leur pratique auprès des élèves en situation de handicap ont une réelle valeur professionnelle. Nous ne sommes pas de vulgaires pions juste susceptibles d’exécuter des ordres.
Je suis très choquée de constater que les enseignants, qui sont en fait nos collègues et qui ne connaissent pas réellement notre travail, sont mis à contribution pour l’évaluation des AESH en fin d’année. Certains AESH qui ont eu un souci avec l’enseignant avec qui ils «collaborent» ne sont pas reconduits dans leurs fonctions. Ce fonctionnement est totalement inadéquat, nous n’évaluons pas les enseignants, c’est un inspecteur qui le fait. Nombre d’AESH dans des régions sont isolés, sans recours ni personnes ressources pour les défendre ou simplement pour communiquer. C’est la raison pour laquelle, en Dordogne, j’ai également mis en place un collectif AESH CGT Educ’Action
Le projet de PIAL (pôles inclusifs d’accompagnement localisé) qui se profile comme un système qui aboutira à du quantitatif plutôt que du qualitatif est loin de se diriger vers une amélioration de notre statut. Devant la demande en constante augmentation d’accompagnement cette nouvelle organisation constituera une réserve de pions à placer au gré des besoins en aide humaine dans les établissements. Pour répondre à ces demandes croissantes, l’accompagnement individualisé avait déjà fait place à un accompagnement dit « mutualisé ».
J’ai parlé dans un précédent billet d’esclavage moderne.
La fameuse condescendance vis à vis de notre rôle que vous avez dénoncée dans votre article, cette transparence dont nous sommes victimes n’offrent qu’un strapontin inconfortable à ces enfants en situation de handicap que nous sommes censés installer au sein de l’école. Alors-même que c'est une place «orchestre» sinon « Carré Or » qui devrait leur être dévolue.
Que pensez-vous de la concertation lancée par Blanquer et Cluzel, à laquelle vous participez ?
J’y participe effectivement en tant qu’AESH et représentante du Collectif AESH National de la CGT Educ'Action. Je lutte pour que les choses changent mais je crains que les mesures que nous revendiquons ne soient pas prises en compte. Nos interlocuteurs ne semblent pas avoir la véritable volonté d’améliorer notre situation. Il s’agit pour eux de gérer la quantité d’AESH nécessaire pour faire face aux besoins de façon à ce que cela coûte le moins cher possible. Dans ces conditions, l’amélioration du sort des AESH est fortement compromise. Ce sera plutôt une régression et une déprofessionnalisation de la fonction.
On mesure le niveau de solitude et l’ampleur de la souffrance des AESH sur les réseaux sociaux. Leur isolement tend heureusement à se rompre grâce aux collectifs de plus en plus nombreux et actifs partout.
Je ne cesserai d’exprimer leur colère. Et je ne peux plus supporter que l’on puisse parler à leur place.