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· DIALOGUE

Hugo Horiot: un parrain hors du commun pour l'Ecole Numérique Solidaire

Vous avez participé il y a quelques jours à une réunion de la section spécialisée
" Transports, énergie, infrastructures et société de l'information" au Comité économique et social européen. Quel était l'objectif de cette réunion ?

J’étais invité au Comité économique et social européen à l’initiative de Pierre Jean Coulon, Président de la section TEN (Transports Énergie Numérique) pour apporter un éclairage aux représentants des 27 pays de l’Union Européenne quant à l’intérêt de la neurodiversité face à aux défis de la révolution numérique dans laquelle l’Europe doit rattraper son retard...

Quels ont été les points principaux de votre intervention ?

La nouvelle ère de la mondialisation se distingue en deux catégories : les acteurs de la révolution numérique et ceux qui la subissent. Les GAFAM ou diverses organisations gouvernementales se livrent aujourd’hui sans merci à une guerre des talents dans ce domaine mais de nombreux profils doués de compétences hautement techniques passent sous les radars de recrutement classiques. On les trouve plutôt en dehors des sentiers battus...

Nos choix de détection des compétences et donc à terme notre maîtrise et créativité dans des domaines tels que la cybersécurité ou d’intelligence artificielle impacteront de façon majeure notre avenir quant à des questions géopolitiques, économiques et sociales, comme la transition écologique, la répartition des richesses, la santé, l’école, l’information et la démocratie, l’innovation et la recherche ou encore l’emploi et les plateformes numériques...

Selon diverses estimations, environ 65 % des élèves d’aujourd’hui seront appelés à exercer des emplois qui n’existent pas à l’heure actuelle et les entreprises éprouveront de plus en plus de difficultés à trouver dans les écoles les compétences dont elles auront besoin. Les employeurs sont désormais 54% à investir dans des plateformes d’apprentissage et des outils de développement pour construire leur propre vivier de talents, alors qu’ils n’étaient que 20% à s’inscrire dans cette démarche en 2014. Les entreprises du monde entier cherchent désormais à détecter de nouveaux talents et à recruter davantage de profils atypiques. Dans de multiples branches, la pénurie d’une main d’œuvre qualifiée pour des postes très techniques se fait cruellement sentir. Et notre système pénalise de nombreux potentiels chez diverses familles cognitives, (autistes, dys, thqi, tdah). Un groupe sociétal aujourd’hui privé de toute perspective se verrait ainsi offrir la possibilité de contribuer à notre société de manière innovante.

La neurodiversité désigne la variabilité neurologique de l’espèce humaine et les mouvements sociaux visant à faire reconnaître ces différences. Les nombreux acteurs de ce mouvement, en grande partie concernés par l’autisme mais aussi la dyslexie et bien d’autres particularités, militent pour ne plus être systématiquement jugés sur un angle déficitaire par rapport à une norme arbitraire, mais valorisés pour leurs qualités. Cela est au centre de la question sociale, citoyenne et politique de la notion de “société inclusive.”

Enfin, j’ai appelé de mes vœux le Parlement européen à lancer une mission pour analyser et évaluer via les institutions compétentes à Bruxelles, les politiques budgétaires des 27 membres de l’UE. Son objectif : établir un diagnostic clair et précis des verrous budgétaires ou d’éventuelles entraves institutionnelles à l’objectif affiché de “société inclusive”. Évaluer les bons et les mauvais élèves. Comment les bons pourraient-ils inspirer les autres pour s’améliorer ? Actionner des leviers fortement incitatifs, voir coercitifs, pour harmoniser dans l’échéance la plus immédiate, la garantie des droits de chaque personne en situation de handicap en Europe, au regard de la Convention Internationale des Droits des Personnes Handicapées de l’ONU.
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Comment faut-il faire évoluer les méthodes de recrutement et d'évaluation des entreprises et des institutions pour permettre aux personnes neurodivergentes de travailler et d'être intégrées socialement ?

Selon une récente étude du BCG, la part du chiffre d’affaires réalisé grâce à l’innovation (entendez nouveaux produits et services) serait quasiment deux fois plus importante dans les entreprises où la diversité du management est plus élevée que chez les employeurs les moins inclusifs (45% versus 24%).

Face à l’érosion des normes, “l’employé atypique” si recherché est destiné à pourvoir un poste bientôt standard. Cryptographie appliquée, permanence opérationnelle ou architecture big data... la comédie sociale ne lui accorde guère de chance. Nos processus de sélection, d’évaluation et de validation des compétences, des examens à l’entretien d’embauche, sont basés principalement sur les aptitudes sociales d’ordre rhétorique ou théâtral, c’est à dire l’aptitude à s’auto promouvoir, « se vendre ». Ces talents, nécessaires à un diplomate ou un commercial, n’ont rien à voir avec les aptitudes techniques recherchées aujourd’hui dans l’IT et vont d’ailleurs rarement de paire. Si les écoles, entreprises ou institutions gouvernementales veulent multiplier leurs chances de comprendre, de communiquer et d’attirer ces profils pour bénéficier de leurs talent, elles doivent remettre en question leurs standards de fonctionnement. Comme par exemple passer du paradigme du diplôme à celui de la compétence.

Vous avez publié cette année aux éditions L'Iconoclaste " Autisme j'accuse ! ", vous êtes également actif sur les réseaux sociaux. Quels autres moyens utilisez -vous pour sensibiliser l'opinion publique à la question

de la neurodiversité ?

Je parraine “l’opération chaussettes bleues” de l’ASBL “Autisme en Action qui se tiendra dans le parc royal à Bruxelles le 31 mars prochain. Je parraine aussi un projet pilote d’École Numérique Solidaire porté par l’institut Marie Thérèse Solacroup. Nous sommes labellisés par la Grande École du Numérique et soutenus par la Fondation de France ainsi que l’Afnic. Cette formation démarrera en Septembre 2019. L’équipe pédagogique est actuellement en cours de constitution, un cahier des charges va être élaboré et nous allons bientôt lancer un appel à candidatures pour lancer la première promotion. Beaucoup d’exemples, hélas encore trop méconnus dans le spectre de l’autisme, montrent à quel point l’intelligence revêt de multiples formes. Et si les viviers d’intelligences les plus surprenants se trouvaient parmi les autistes qui ne parlent pas? Au moins ne perdent-ils pas d’énergie à se conformer à un monde “normal”, lequel est en plein effondrement...

De nombreuses entreprises et organisations gouvernementales ont déjà manifesté un vif intérêt. Nous serions une grande école en parvenant à détecter ces talents et à leur constituer une passerelle vers le monde de l’emploi et de la recherche.

Mr Blanquer et Mme Cluzel ont lancé en octobre dernier la concertation " Ensemble pour l'école inclusive !". Avez-vous le sentiment que les choses évoluent dans le bon sens et que de réels moyens sont mis en oeuvre pour construire une société inclusive ?

Les choses évoluent, mais il reste fort à faire. J’adresse d’ailleurs à Adrien Taquet mes félicitations pour sa récente nomination de secrétaire d'État en charge de la Protection de l'enfance.

En France, si l’on en croit le budget de la CNSA ou encore la Cour des Comptes, depuis des décennies, des dépenses de plusieurs dizaines de milliards d’euros sont captées par des processus, systèmes, organismes aux frais de fonctionnements onéreux et peu efficaces qui nécessiteraient une évaluation en profondeur.

Je ne saurais mieux résumer la situation que Charles Gardou, auteur de "La société inclusive, parlons-en !", “la transformation des esprits et des pratiques prendra du temps, mais la nécessité est là. La vie de la Cité ne peut se jouer à huis clos. Chacun a le droit inaliénable d’y prendre part, toute sa part”.

 

Propos recueillis par Cécile G.

 

www.hugohoriot.com