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· LECTURES ET FILMS

« La tête et le cœur »
Le film qui met à l’honneur les AESH, héros d’aujourd’hui !

« La tête et le cœur » est un beau projet de film documentaire de 52 minutes sur la place du handicap à l’école et le métier d’Accompagnants d'Élèves en Situation de Handicap.

Edouard Cuel et Gaël Breton, après un premier remarquable documentaire « Vincent et moi » sorti en mars 2018, poursuivent leur combat pour l’inclusion des personnes handicapées dans le milieu ordinaire.

« Pour ce qui est de mon fils Vincent, à l’école, ça a toujours été une bataille rien que pour faire ouvrir des classes au fur et à mesure qu’il avançait. Il a toujours été sur le front de vague, et qui dit pionnier dit bataille. Il faut qu’il y ait une mobilisation pour que les choses se passent mieux. Au-delà de la bataille pour mon fils, c’est aussi une bataille pour l’ensemble des enfants handicapés mentaux ou handicapés tout court. On doit fédérer, jouer collectif, sinon on n’avance pas ».

Ce sujet, les AESH, est un thème qui n’est quasiment jamais abordé, il est cependant le maillon essentiel qui relie les enfants fragiles à l’école. Comment avez-vous eu la curiosité et l’envie de fixer un projecteur sur ce rôle si peu mis en valeur jusqu’à présent?

La réponse est un peu dans la question. On parle toujours des AESH dans la polémique, mais jamais de leur rôle, de la place qu’elles occupent réellement. Nous avons tous deux une expérience qui nous a tout particulièrement sensibilisés à ce sujet.

C’est pendant l’enfance pour les enfants « différents » encore davantage que pour les autres que l’inquiétude, la bataille est la plus forte. Les parents, les associations se mobilisent beaucoup. Les AESH sont fantasmées, mais le public ne connait rien à la réalité de ce métier. Elles ont un rôle central, mais c’est une sorte de trou noir, un point aveugle, un angle mort.

En outre pour des cinéastes, il est très agréable de filmer dans une école. C’est une matière très riche, un lieu où il se passe toujours quelque chose.

J’avais remarqué le message extrêmement touchant qu’Emma, l’AESH de votre documentaire avait rédigé pour l’enfant dont elle avait la charge sur les réseaux sociaux. Comment l’avez-vous rencontrée, puis choisie, pour illustrer votre propos ?

Nous avions envie de raconter une histoire, je (Edouard Cuel) suis plutôt sociologue, Gaël Breton est un cinéaste. Nous avons démarré cette histoire dès le recrutement d’Emma. Nous cherchions une AESH susceptible de se remettre en question, surtout pas une personne pétrie de certitudes. La question de la formation s’est rapidement posée. L’AESH est mis sur le terrain avant de commencer la formation. Formation qui est générale et ne peut pas répondre au cas par cas aux questions spécifiques qui vont se poser dès la rencontre de l’AESH avec chaque porteur de handicap. La formation est nécessaire pour ces questionnements professionnels mais elle ne remplace pas l’importance de la qualité de la relation qui doit s’installer. Il y a quand même dans cette formation l’analyse de pratiques qui est très intéressante et très riche.

-L’espoir est d’aboutir à une vraie prise de conscience de la diversité et à l’évidence que l’ouverture à l’autre apporte à tous.

Les enfants «différents» sont à l’école, les enfant « dits normaux» les fréquentent. Les uns et les autres font connaissance et apprennent à vivre ensemble.

Pensez-vous que cette proximité crée peu à peu une solidarité, installe une « normalité » entre ces élèves et futurs adultes ?

Les enfants devenus grands auront intégré la différence, cela deviendra la norme.

Ce doit devenir une habitude pour l’école de traiter les cas particuliers. Avec les maîtres mots qui sont toujours ceux de l’école « suivre le programme » et « sélection », les enfants handicapés partent toujours perdants. Il faut habituer l’école à penser développement de l’enfant au lieu de le soumettre à la performance. Il faut opérer un basculement des repères, sortir de la norme avec sa culture du concours et les systèmes de sélection qui excluent de facto les enfants handicapés.

Les AESH se retrouvent au milieu de cette gageure, avec un rôle flou, qui est pourtant fondamental. Ils/elles doivent défricher cette fonction qui est une nouveauté.

Notre projet avec ce film est d’éclairer leur rôle pour que les gens le comprennent. C’est un sujet complexe qu’il nous a fallu inscrire dans 52mn…

-Il faut pousser les enfants à être fiers d’eux-mêmes.

Comme me le confiait Caroline Boudet, maman d’ExtraLouise et auteur de « La vie réserve des surprises », même si on peut être pessimiste sur la véritable inclusion des enfants et adultes différents, quand on est parents, on ne peut se permettre de flancher. Il est urgent et impératif d’offrir un avenir à son enfant.

Vos documentaires forment des coups de boutoir remplis d’humanité que vous lancez aux portes de l’ignorance et de l’indifférence.

Comment allez-vous accompagner votre travail pour bouger les lignes et contribuer à améliorer l’inclusion dans notre pays ?

Mon fils a maintenant 27 ans, l’état des choses a quand même bien changé et progressé.

Quand Vincent était petit, il y avait une seule classe primaire de 12 enfants à Paris sur l’Ile Saint-Louis, et rien au-delà !

La question du handicap est surtout une affaire d’écoute et d’ouverture. Elle s’accommode mal des certitudes et de savoirs prédéfinis. Un enseignant qui n’y connaît rien mais qui a l’envie de réfléchir et de se remettre en question vaut mieux qu’un professeur spécialisé rigide rempli d’à priori. Certains professionnels pourtant bien formés commettent des erreurs, quand d’autres intervenants non formés sont à l’écoute et font un excellent travail. Le handicap a toujours provoqué des avancées; les innovations viennent du milieu du handicap. Maria Montessori a élaboré ses célèbres méthodes pédagogiques avec les enfants qualifiés à l’époque « d’arriérés mentaux ».

Je (Edouard Cuel) fais partie de l’association Trisomie 21, notre finalité est l’autodétermination, pas la performance. Poussés à la performance, tôt ou tard, avec handicap ou pas, les enfants ont tendance à s’effondrer. Qu’ils puissent être fiers d’eux-mêmes est le plus important, c’est ça qui leur permet d’avancer.

Les AESH apportent une compensation aux enfants, et surtout leur apprennent à être fiers d’eux. Et c’est ça justement qui est beau.

Enfin, nous avons eu le plaisir de faire connaissance avec Vincent dans votre documentaire "Vincent et moi". Comment va-t-il aujourd’hui ?

Vincent a maintenant 27 ans, il vit dans un appartement partagé depuis quelques mois. Il a une copine et il est prof de karaté ; il est 3ème dan.

Il m’a beaucoup apporté. Je n’aurais rien pu faire s’il ne l’avait pas voulu. Je l’ai juste aidé à faire ce qu’il désirait vraiment. Il est fier de lui ; il me demande « -Hein que je suis beau ? » auquel je répond invariablement

« -Oui, tu es beau ! »

Pour donner la parole aux AESH avec force, ce film devait sortir idéalement à la rentrée, pour arriver dans le flux médiatique. Malheureusement, il nous manque encore des sous. La sortie est prévue vers octobre/novembre.

Notre souhait est de populariser ce métier, qu’il sorte du trou noir où il est cantonné. Le but du jeu étant d’intéresser les gens, qu’ils puissent s’identifier, qu’ils connaissent ce métier. Nous restons tous deux toujours positifs et optimistes.

Propos recueillis par Sabine Komsta