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Mais sinon, tout va bien ! de Max Deloy

suivi d'un feel-good entretien avec Maxime Gillio...

Vendredi dernier, avant de partir à l’école, j’avais glissé dans mon sac à dos le feel good book de Max Deloy (alias Maxime Gillio) : « Mais sinon, tout va bien ! », sorti chez HarperCollins France au début du mois. J’avais une sortie avec mes élèves le matin et je pensais que ce livre serait idéal pour une belle détente sur ma pause déjeuner.

J’avais bien fait ! A midi trente dans le silence de ma classe je riais aux éclats.

Georges Goubert est un trentenaire qui n’a pas vraiment l’existence dont il avait rêvé. Comédien, il se voit obligé de se produire dans des publicités ridicules ou dans des animations de supermarché. Divorcé, il élève seul son fils Henrik de douze ans, qui est surdoué, ne va plus à l’école et décourage tous les précepteurs que son père engage. Côté vie sentimentale, Georges ne s’est pas complètement remis de sa rupture avec son ex et erre comme une âme en peine sur le profil Facebook de celle-ci. Il dirige également l’école de théâtre que ses parents décédés ont créée, Côté Cours, qui compte à peine trois élèves : Jean-Christophe, un jeune homme qui souffre de lésions neurologiques irréversibles suite à un accident de voiture, Cindy, une jeune fille complexée par son poids et souffrant d’une timidité maladive et Karim, le voisin épicier qui est ébloui par sa découverte de la littérature française. C’est Mireille, une amie de ses parents, qui leur enseigne l’art dramatique avec exigence et fermeté et décide de monter « Phèdre » avec eux en à peine quelques mois. Il y a également Lucie, la mère psychorigide de Henrik et Juan, le meilleur ami de Georges, petit voyou au grand coeur.

Comme toujours dans un feel good book et dans la vraie vie, des rencontres vont venir chambouler l’équilibre, précaire mais heureux, de cette petite bande sacrément attachante. Margot, une préceptrice géniale et atypique, qu’Henrik va immédiatement adorer, Clémence, actrice talentueuse qui décide d’intégrer la troupe théâtrale et Pascal Dumortier, un promoteur immobilier mafieux.

La grande réussite de Max Deloy dans ce livre c’est de renverser notre regard. Georges a tous les attributs du loser. Pourtant en le suivant dans ses tribulations quotidiennes, en le regardant réagir aux multiples épreuves que la vie lui envoie, familiales, sentimentales, financières, on réalise qu’il est un véritable héros.

Un immense humaniste. Un homme qui ne se ment pas sur lui-même, ne fait pas semblant d’être quelqu’un d’autre, assume ses fragilités et ses faiblesses et reste connecté quoi qu’il arrive à ses valeurs : la fidélité, l’amitié, l’honnêteté.

Dans un monde où l’on voudrait nous faire croire que réussir sa vie c’est avoir coché un certain nombre de cases : un métier formidable, un couple ultra épanoui, des enfants parfaits et bien sûr une belle maison, il est réconfortant de lire un roman où la réussite est simplement d’être en accord avec soi-même et d’accepter ses proches tels qu’ils sont.

L’école de théâtre « Côté cours » est pour moi ce vers quoi devrait tendre notre système scolaire : un lieu où chacun est accueilli tel qu’il est mais où l’on a pour lui la plus grande exigence. Un endroit où l’on peut se dépasser et devenir fier de soi et de ses réalisations.

Ce roman, à découvrir de toute urgence, est un concentré d’humour, de tendresse et d’humanité. Vous y rencontrerez une jeune femme génie de l’informatique qui aime cuisiner des fricassées de pissenlits et des muffins à la courge butternut, un meilleur ami qui deale sans doute pour gagner sa vie mais sur qui l’on peut toujours compter et une professeure de théâtre qui cache sous ses airs autoritaires une sacrée dose de bonté. Vous vous sentirez drôlement bien parmi tous ces personnages et vous aurez une légère tristesse à les quitter. Et vous vous ferez cette réflexion qu’au fond les gens ne sont jamais vraiment ce qu’ils ont l’air d’être et que ça vaut vraiment le coup de prendre le temps de les connaître.

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Vous êtes connu pour l’écriture de polars, comment en êtes-vous venu à écrire un feel good book ?

C’est l’alignement de plusieurs planètes :

- J’aime me frotter à de nouveaux genres et tenter des nouvelles choses, au gré de mes envies, et que je déteste être cantonné à un registre, une fonction ;

- J’avais l’impression d’avoir fait le tour – momentanément – du polar, et m’interrogeais sur ce que je pouvais écrire à ce moment-là ;

- J’ai été présenté au staff éditorial d’HarperCollins pour de toutes autres raisons, et au débotté, pendant la réunion, mon interlocutrice apprend que j’écris, que j’ai une ébauche de projet de feel good dans mes cartons, et demande à le lire.

L’alignement des planètes, je vous dis !

La comédie implique un rythme particulier, une certaine énergie. Le fait de vous confronter à cet autre genre littéraire a-t-il eu un impact sur votre écriture ?

C’est évident qu’il y a un souci d’efficacité et de timing, pour que la vanne fasse mouche, que l’effet comique arrive au bon moment, avec une alternance et un dosage des registres. Concernant l’aspect purement comique, je ne me faisais pas trop de soucis, m’étant déjà frotté à l’humour dans différents écrits. En revanche, la nouveauté pour moi était de rester en permanence dans le comique bienveillant, pas vachard, et de l’alterner avec des moments soit d’émotion, soit qui font progresser l’intrigue. C’est une vraie question de dosage et de musique du texte. Mais j’ai été bien accompagné pendant l’écriture, repris quand je faisais des fausses notes, des improvisations superflues ou des sorties de route, afin de respecter la partition.

Comment construisez-vous vos personnages ? Est-ce qu’ils s’imposent assez vite ou est-ce qu’ils sont le fruit d’une longue élaboration ?

J’en ai les principales caractéristiques avant d’écrire, avec une seule obligation, concernant le feel good : qu’on puisse s’identifier à eux, et que j’aie de l’empathie, qu’ils ne soient jamais ridicules quand je les mets en scène, en tout cas, gratuitement. Après, bien évidemment, au fil de l’écriture, ils prennent en épaisseur. Mon intrigue les nourrit, de même que mon vécu. Le personnage de Karim est sans doute celui qui a le plus évolué entre le moment où je l’ai imaginé, et celui où j’ai envoyé le texte à mon éditeur.

L’écrivain n’est-il pas aussi un comédien ? Finalement vous incarnez aussi dans les mots chaque personnage…

La vache, on dirait un sujet de littérature au CAPES !^^

Il est évident qu’écrire, c’est – si ce n’est jouer la comédie – en tout cas se mettre en scène. En permanence. Mais en réalité, écrire, c’est tout un processus de cinéma ou de théâtre, de l’incarnation à la mise en scène. Il faut choisir les voix de ses différents personnages, comment les incarner, réfléchir à l’agencement des scènes, aux angles de prises de vue, au montage, au storyboardage, aux costumes, à l’éclairage, etc. Et à l’arrivée, quand on voit ce qu’il nous reste pour payer les factures, on est comme un intermittent du spectacle. Mais je m’égare…

Quelles sont vos influences, littéraires et plus généralement artistiques ?

En littérature, je revendique toujours trois maîtres : Frédéric Dard, André Franquin et Stan Lee (oui, je sais, vous m’avez parlé de littérature, et j’assume !). Après, je suis un grand amateur de comédies. Mon réalisateur préféré est Billy Wilder, je vénère les Monty Python, j’ai été biberonné aux Nuls et aux Inconnus, j’aime autant le graveleux que l’absurde, l’incongruité que la finesse d’un bon mot. Bref, je revendique l’humour sous toutes ses formes.

Pourriez-vous partager avec nous la référence du passage de Stevenson sur le deuil que vous évoquez dans le roman ?

« Ne restez pas à pleurer autour de mon cercueil,

Je ne m’y trouve – je ne dors pas.

Je suis un millier de vents qui soufflent,

Je suis le scintillement du diamant sur la neige,

Je suis la lumière du soleil sur le grain mûr,

Je suis la douce pluie d’automne, je suis l’envol hâtif.

Des oiseaux qui vont commencer leur vol circulaire quand tu t’éveilles dans le calme du matin,

Je suis le prompt essor qui lance vers le ciel où ils tournoient les oiseaux silencieux.

Je suis la douce étoile qui brille, la nuit,

Ne restez pas à vous lamenter devant ma tombe, je n’y suis pas : je ne suis pas mort. »

C’est sympa, hein, pour une interview feel good ?

Quels sont vos projets actuels ? Projetez-vous d’écrire un autre livre du même genre ?

J’ai un roman jeunesse qui sort en septembre chez Flammarion jeunesse (essayer d’autres registres, encore et toujours…), puis je dois enchaîner avec l’écriture d’un young adult avec ma comparse Sophie Jomain, en sachant que je suis en train de retravailler un roman « de jeunesse »,Batignolles Rhapsody, pour une réédition future. Mais l’accueil réservé à Mais sinon, tout va bien ! me laisse à penser que je risque fort de reprendre les rênes d’un feel good plus vite que prévu !

Et pour finir une petite feel good interview :

Qu’y a-t-il de Georges Goubert en vous ?

Son goût pour les tee-shirts ? Honnêtement, entre le Georges Goubert et le Maxime Gillio qui va fêter ses 44 ans le mois prochain, plus grand-chose, je le crains…

Êtes-vous plutôt pizza/sushis ou fricassée de pissenlits/muffins à la courge butternut ?

Alors, je déteste la courge butternut et le chou-fleur, qui sont des légumes du diable. J’aime beaucoup les pissenlits, en revanche ! Je suis un incorrigible gourmand (« gueulard » serait un terme plus approprié…), alors j’apprécie autant une pizza au gras qu’une bonne poêlée de légumes.

Quel est votre feel good book préféré ?

Une confidence ? Je n’en ai lu aucun… Du moins, dans cette catégorie éditoriale auto-proclamée. En revanche, lisez un San-Antonio ou un Joe Lansdale, et oui, vous allez vous sentir bien. Très bien, même !

« Mais sinon, tout va bien ! » est-il votre mantra ?

Alors non, il paraît que je râle tout le temps… Non, mon vrai mantra, c’est plutôt « quand est-ce qu’on mange ? ».

Propos recueillis par Cécile Glasman