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· LECTURES ET FILMS

Rachel, l'autisme à l'épreuve de la justice,

le documentaire coup de poing de Marion Angelosanto

Vous racontez avec une infinie délicatesse une histoire dramatique, une erreur judiciaire qui ravage une famille. Vous déliez avec doigté et talent les méandres de la toile maléfique qui a englouti Rachel et ses trois enfants. Comment avez-vous décidé de vous emparer de cette histoire ?

J’étais en reconversion professionnelle, je faisais des reportages sur des affaires criminelles. J’ai décidé de suivre l’avocate Sophie Janois dans son quotidien professionnel, de faire son portrait. Je n’avais aucune connaissance sur le handicap en général, ni sur l’autisme. Je voulais faire une photographie pour comprendre ce qui n’allait pas dans la prise en charge de l’autisme, quelle était cette défaillance qui donnait tant de travail à Sophie Janois.

Elle ne souhaitait pas médiatiser le cas de Rachel, ayant l’habitude d’user de pédagogie avec les juges, elle pensait arriver à la défendre sans difficulté particulière, comme à son habitude. Elle a rencontré avec Rachel son premier échec.

Lorsque j’ai rencontré Rachel, j’ai tout de suite senti que son histoire était emblématique, que c’était en fait son portrait qu’il fallait que je fasse. Cette affaire était en effet la plus grave, la plus symptomatique de la maltraitance institutionnelle. En effet nombre d’enfants sont retirés à leurs parents au prétexte de maltraitance alors qu’ils sont autistes. Personne jusque là n’avait filmé Rachel. Sophie Janois veillait à la protéger. Rachel donne vite sa confiance avec une sorte de naïveté, cette fragilité est inhérente à sa particularité.

Vous filmez cette histoire déchirante et révoltante avec un soin particulier pour les images et beaucoup de poésie. Les enfants y existent par leur absence qui est néanmoins évoquée avec éloquence

grâce à votre talent.

Quelle a été votre démarche pour vous adapter à la spécificité de Rachel tout en rentrant 3 années durant dans son intimité douloureuse ?

Quand je l’ai rencontrée, elle avait été diagnostiquée autiste asperger depuis 6 mois. J’ignorais tout de ce trouble. J’ai donc dû m’informer. Il était hors de question que je lui impose mes codes, c’était à moi de faire l’effort de m’adapter. Faire ce chemin vers elle a été pour moi une véritable découverte. J’apprenais son fonctionnement, respectant son rythme et adoptant la bonne distance. Je prenais soin de lui éviter toute surprise, je m’adaptais à ses règles et respectais ses conditions. Je lui posais des questions ouvertes.

C’était simplement pour moi la moindre des choses. L’effort naturel que tous les protagonistes de son histoire ont négligé de faire.

L’affaire Rachel est l’illustration cruelle des 40 ans de retard de la France dans la prise en charge de l’autisme. Votre film décrit la chaîne, des travailleurs sociaux aux enseignants, des psychologues aux psychiatres, des médecins aux juges qui, par leur méconnaissance de l’autisme, conduit à ce désastre. Qu’attendez-vous après la diffusion de votre film militant pour Rachel et ses enfants, et pour toutes les autres familles brisées ?

Cette histoire est déjà connue, elle est portée par un flot de soutiens.

Mon souhait le plus cher était d’établir le vrai portrait de Rachel. Présenter la femme que j’ai appris à connaître, à écouter et à comprendre, celle qu’elle est sous l’apparence que lui prête son trouble autistique. Je voulais donner à voir quelle mère elle est vraiment, rétablir sa dignité. J’avais à cœur de lui rendre justice. De démontrer l’absurdité du piège qui s’est refermé sur elle avec des accusations délirantes ; Rachel aurait inventé des handicaps imaginaires pour ses enfants, alors même qu’ils ont été diagnostiqués. Les soupçons de perversité et de manipulation alors que ces postures lui sont totalement étrangères.

Il est urgent que toute la chaîne de ces professionnels soit formée, et bien formée. Ce n’est que depuis 2016 que les médecins ont une formation obligatoire sur l’autisme.

Qu’une telle erreur de jugement ait pu être possible est déjà terrible, il est aberrant que l’ASE et la justice ne reconnaissent pas enfin leur manquement devant tous les éléments incontestables, comme les diagnostics posés sur Rachel et ses 3 enfants. Cela fait 4 ans que les enfants sont placés et qu’ils vont de plus en plus mal.

-Ce qui est remarquable c’est que Rachel ne nourrit

ni colère ni haine.

Elle dit seulement « Je leur en veux de ne pas se remettre en question. » et encore « Ce film, je ne le fais pas pour moi, mais pour que mon dossier serve aux autres. »

Propos recueillis par Sabine Komsta.

Le 06 avril à 21 h, le film a été diffusé sur Public Sénat suivi d’un débat avec Marion Angelosanto, Claire Compagnon, le Docteur Barthélémy et Florent Chapel. Il sera diffusé le 22 avril à 20h55 sur France 3 région Auvergne-Rhône-Alpes. Il sera disponible sur internet.

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