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Hugo Horiot, empereur, imposteur

et défenseur de la neurodiversité

· DIALOGUE

Entretien avec Hugo Horiot, auteur de "L'empereur c'est moi", "Carnet d'un imposteur" et "Autisme: j'accuse!" par Cécile.

 

Votre livre « Carnet d’un imposteur » a paru aux éditions l’Iconoclaste en 2016 et est maintenant en livre de poche. Pourquoi ce titre ? Est-ce une allusion à votre métier de comédien ? Ou un pied de nez aux odieuses allusions d’anonymes dont vous restituez la violence des propos et qui insinuaient que vous n’auriez pas vraiment été autiste ?

La notion d’imposture trouve plusieurs échos au sein de mon livre. Au-delà de l’allusion au métier de comédien ou certains propos qui ont pu être tenus concernant la véracité de mon récit, elle décrit aussi les innombrables subterfuges et procédés indispensables pour jouer la comédie sociale dans un monde ou l’image prime bien souvent sur la pensée. Ce livre revient notamment sur une longue période de mon existence ou ma principale préoccupation fut de jouer la comédie de la normalité. Après une enfance marquée par la stigmatisation et le rejet, entre 15 et 30 ans, j’ai déployé une énergie immense à jouer un rôle pour dissimuler tous les signes extérieurs qui pouvaient trahir la moindre manifestation de mon appartenance au Spectre de l’autisme. Cette situation est d’ailleurs vécue par de nombreux membres du Spectre et se solde en général par des « burn out », car nul ne tient indéfiniment un rôle qui ne lui sied pas sans se perdre. Hélas, un membre du Spectre n’est aujourd’hui toléré qu’avant tout à condition de ne pas ressembler à ce que l’on détermine comme étant un « autiste ». C’est là qu’on entre dans la notion de « handicap invisible. » : toute attitude ou gestuelle ne représentant aucun danger pour les autres ou le sujet lui-même, mais jugée comme étrange est interprétée comme pathologique avec tout le rejet, la mise à l’écart, la ghettoïsation que cela engendre. Ainsi, l’immense majorité de la population autiste s’emploie à masquer sa part d’étrange sous l’imposture d’une apparence en adéquation avec les standards arbitraires d’une norme pour passer inaperçue et éviter la discrimination. Bâtir un monde plus respirable implique de changer radicalement notre rapport à l’étrange. Comment mieux accepter celui qui, s’il ne nous ressemble pas, n’en est pas moins un être humain ? C’est la première question que pose la notion de Société inclusive…

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Ce qui me frappe dans ce titre et dans tout votre livre c’est la revendication d’une immense liberté. Liberté de vos masques choisis, de vos pensées, de vos choix de vie. Vous montrez très bien la façon dont vous déstabilisez les médias en n’entrant pas dans une case. Ce livre est-il aussi une manière de rappeler que chacun n’est pas un mais multiple ?

Même si les choses évoluent, les médias véhiculent encore trop souvent une image tronquée, misérabiliste et tragique de l’autisme. Alors qu’il est communément admis aujourd’hui que l’autisme n’est pas une maladie mais bien une variante neurologique, les éléments de langage dans le langage courant et dans la place publique sont encore emprunts de terminologies issues du champ lexical de la pathologie. Il y également une tendance en France à écarter du domaine de la recherche sur l’autisme les personnes autistes ayant les qualifications en la matière, alors que dans les pays anglo-saxons ou au Québec par exemple, cela est perçu comme un avantage.

Trop souvent encore, les populations dites inadaptées, que ce soit dans l’autisme, la dyslexie, la dyspraxie, le très haut quotient intellectuel (THQI) ou le trouble de l’attention avec ou sans hyper activité (TDAH) sont mises en situation de handicap et d’échec et condamnées à une citoyenneté de seconde zone. Troquer une attitude fataliste pour une approche lucide, responsable et pragmatique, c’est admettre que notre système est en échec face à ces populations et non l’inverse.

J’ai beaucoup aimé la forme que vous avez choisie : ce carnet, succession de textes où vous abordez des thèmes très différents, l’enfance, vos parents, l’école, votre formation théâtrale, l’amour, la paternité, la notoriété, le rapport aux médias… Votre livre est très vivant et traversé par des tonalités très différentes: certains passages sont très poétiques, d’autres très drôles, d’autres encore combatifs. Cette diversité était-elle voulue à la naissance de votre projet littéraire ?

Lorsque je m’attèle à un projet littéraire, je n’ai pas de plan. J’entends ou je vois des phrases, des respirations, des images et des échos qui m’envahissent et dont je dois me délester. Ainsi naît une nécessité profonde d’écrire ce que je ne peux exprimer autrement avec clarté. Le plan se dessine alors en fonction des fragments couchés sur le papier dans lesquels je finis par trouver une forme de logique.

Vous racontez que votre mère vous a conseillé de toujours écrire. L’écriture est-elle une pratique quotidienne chez vous depuis l’enfance ? Que vous apporte-t-elle ?

Ma mère a elle-même trouvé son salut dans l’écriture et m’a toujours incité à m’exprimer par ce biais. Que ce soit par les bandes dessinées que j’élaborais enfant ou les livres, articles, billets et tribunes que je publie aujourd’hui, l’écriture est un rendez-vous récurent et important dans ma vie depuis très longtemps. Elle me permet d’être compris et de transmettre des idées ou des ressentis impossibles à exprimer autrement. C’est un rendez-vous avec moi-même et une passerelle vers les autres.

*Votre livre s’organise en trois parties : Julien, Hugo, Freak (terme anglais signifiant « monstre »). Vous aviez déjà raconté dans « L’empereur c’est moi » (publié à l’Iconoclaste en 2013) qu’à six ans vous aviez tué Julien, celui en vous qui ne parlait pas pour renaître en Hugo, celui qui va s’adapter au monde, celui qui « se rêve en homme » alors que « Julien se rêvait en dragon ». Vous dites que Julien « voulait juste rester un monstre aux yeux du monde » et que Hugo sera lui « un monstre d’adaptation ». D’une certaine façon on ne sort jamais aux yeux des autres de notre propre monstruosité, est-ce que le monstre ce n’est pas tout simplement l’altérité fondamentale de tout être humain ?

Chaque individu, autiste ou pas d’ailleurs, a tous les ingrédients potentiels pour devenir un monstre en fonction des contextes dans lesquels il se trouvera. La rancœur, l’aigreur et la frustration ou encore la peur sont les mères de bien des monstruosités. La monstruosité peut aussi être incarnée par certaines institutions ou organismes lorsque ceux-ci sont hermétiques aux changements qui s’imposent pour permettre aux individus sortant des critères arbitraires de la norme de devenir pleinement acteurs de la société. Les moyens et la qualité des formations mis en œuvre pour permettre au maximum de variantes neurologiques du genre humain de réaliser leurs potentiels sont une question cruciale. Je continue de croire qu’une société inclusive sera moins monstrueuse et surtout plus grande.

A vingt ans vous entrez au théâtre du Jour où vous resterez quatre années. Ce qui m’a frappée c’est que paradoxalement c’est dans un lieu où vous apprendrez à jouer, donc à faire semblant, que vous êtes enfin vraiment accepté tel que vous êtes, contrairement à l’école qui fut un lieu de souffrance et parfois de rejet. Dans votre livre vous dites que dans l’Education Nationale « toute initiative individuelle (est) noyée au profit d’un collectivisme normatif. » En tant qu’enseignante je fais le même triste constat que vous. Que manque-t-il à l’école selon vous pour que chacun puisse y faire son propre chemin en y déployant sa singularité ?

Les comédiens sont traditionnellement ceux qui ont été excommuniés. Au Théâtre du Jour, chez Pierre Debauche, j’ai trouvé une famille car il était surprenant de voir que parmi les jeunes comédiens en herbe que nous étions, neuf dixièmes d’entre nous avaient connu de sérieux déboires avec l’Éducation Nationale. Ce qui manque à l’école, ce ne sont pas les bonnes volontés qui existent bel et bien en son sein mais une vision générale afin d’opérer la transformation pédagogique nécessaire pour répondre à des besoins plus variés et plus nombreux. Aujourd’hui, les principales réponses offertes aux élèves différents sont la création de classes spécialisées (ULIS) ou encore la multiplication des Accompagnants de vie scolaires (AESH). Même si je ne doute pas de la qualité du travail fourni par le personnel concerné, la multiplication de dispositifs semble être le symptôme d’une institution réfractaire au changement dans sa globalité et sa profondeur. De plus, cela reste dans une logique de « places », processus qui se heurte au final à une inéluctable limitation des possibilités d’accueil et engendre une scolarisation à deux vitesses. Un autre symptôme de cette tradition des dispositifs spécialisés dont est imprégnée la France depuis l’après-guerre, est l’éclosion sur tout le territoire, sur des initiatives personnelles, d’écoles dédiées aux enfants autistes ou à d’autres minorités cognitives. La Première Dame a d’ailleurs apporté son soutien à l’une d’entre elles récemment et c’est tout à son honneur. Considérant que le temps politique est bien trop long face à l’urgence des trajectoires personnelles, ces initiatives sont louables et utiles. Mais elles traduisent bien une lacune réelle de l’Éducation Nationale sur le sujet. Pour opérer la transformation dont cette dernière a besoin, la révolution digitale ouvre des portes intéressantes via l’élaboration d’outils numériques pour faciliter les techniques d’apprentissage. L’Éducation Nationale doit aussi tourner son regard vers des exemples hors de nos frontières. Elle peut s’appuyer sur des expériences réussies dans l’Union Européenne comme l’Italie ou la Suède qui ont su, il y a plusieurs décennies, ouvrir leurs écoles à de nombreux profils atypiques. Dans ces pays, les mêmes profils qui sont encore cantonnés chez nous au pire dans des établissements médico-sociaux ou des hôpitaux psychiatriques ou au mieux dans des classes à part, sont à l’école dans les mêmes classes que les autres. En Italie, il existe par exemple la « didactique inclusive » qui consiste en des supports pédagogiques adaptables aux élèves autistes ou dyslexiques pour transmettre la connaissance. Là-bas, dans les années 70, les fonds attribués aux structures spécialisées ont été transférés à l’école. Force est de constater que tous les environnements adaptés aux populations en situation de handicap sont des environnements meilleurs pour tous. La France entretient encore d’onéreuses structures spécialisées qui sur-handicapent des populations, les privent de toute possibilité de prétendre à l’autonomie et d’accès à la citoyenneté. Notre école doit être apte à déceler les avantages et les potentiels des individus plutôt que de systématiquement les juger par rapport à leurs points faibles. Mais il s’agit là d’une question universelle qui dépasse l’enjeu national. C’est pourquoi je suis partisan d’une mission dédiée à l’autisme et à la neurodiversité via les institutions européennes, laquelle viserait à évaluer les systèmes vertueux comme ceux générateurs de discriminations. Analyser ensuite avec précision ceux qui peuvent être source d’inspiration pour contrevenir aux lacunes des autres. Enfin, actionner les leviers nécessaires et élaborer une véritable politique européenne incitative pour amorcer le virage vers une société inclusive dans chaque pays de l’Union. Je garde toujours en tête cette phrase que m’a dit un jour Roland Monod, homme de théâtre que j’ai eu la chance de rencontrer peu de temps avant sa disparition : « L’Ecole ne sert à rien, ne promet rien, ne garantit rien mais au moins on pourra dire : on s’est rencontré là ! »

Votre livre se termine sur une déclaration d’amour à votre fils « Je t’aime, petit prince ». J’y vois aussi un clin d’œil au magnifique livre que votre mère a écrit sur vous : « Le petit prince cannibale » ( Actes Sud, 1990). En quoi la naissance de votre fils a-t-elle changé votre rapport au monde ?

C’est en effet un clin d’œil au « Petit Prince Cannibale » et à l’enfant que j’étais. Je n’ai jamais connu de changement dans ma vie plus violent et bouleversant que la paternité car elle engendre une remise en question permanente. Elle vous confronte à la puissance brute de l’amour inconditionnel d’un enfant et vous pousse à vous interroger sur la notion de responsabilité. C’est un séisme permanent auquel vous n’êtes jamais préparé.

Enfin pourriez-vous nous présenter votre dernier livre, « Autisme : j’accuse ! » paru cette année dans la même maison d’édition que les précédents ?

« Autisme : J’accuse ! » marque une rupture par rapport à mes deux livres précédents. Je sors du registre du témoignage auto biographique pour m’orienter vers un essai manifeste, un pamphlet ou j’analyse sous l’angle sociétal et politique la question du rapport que notre société entretient envers les populations « atypiques ». C’est également un texte qui s’appuie sur de nombreuses études scientifiques internationales, études hélas assez peu relayées en France. Enfin, je m’élève contre l’absurdité et le poids de la contrainte de normalité qui rejette tout individu ne rentrant pas dans des critères purement arbitraires et je plaide pour l’urgence d’une remise en question de l’environnement et un changement de paradigme, dans le domaine scolaire comme professionnel, afin de permettre aux potentiels atypiques de s’exprimer et de s’émanciper.

Voir note de lecture pour Autisme: j'accuse!