Entretien avec Sébastien Monié, outil de l'inclusion doué de passion par Sabine.
Peux-tu me parler du collectif que tu animes sur les réseaux sociaux (Collectif Aesh-Avs en action), de son avènement jusqu’à aujourd’hui ?
Où puises-tu la passion et l’énergie renouvelables pour défendre cette fonction d’AESH sans te décourager ?
Je ne peux pas vraiment parler du collectif car je ne l'ai rejoint que l'an dernier et même si j'y suis très actif et que je me retrouve son représentant à la concertation, je ne me considère pas pour autant légitime à l'incarner. C'est un Collectif qui a été créé par Aurélie Chassaing avant tout et c'est son bébé, pas le mien. J'en suis davantage un petit soldat, un mercenaire bénévole on va dire. Ce qui m'anime c'est la défense des collègues et du respect de leurs droits car je suis persuadé que c'est par ce levier que l’on sera en mesure d'apporter un accompagnement de qualité pour les enfants. Vu que nous sommes les outils de l'inclusion, l'inclusion de qualité et sur le long terme se fera si on respecte les outils, je défends donc les outils.
La passion et l'énergie viennent de là, le sentiment de faire partie des pionniers, d'être dans la construction de quelque chose de plus grand, qui existera après nous, l'avenir des enfants, l’avenir de la société au sens large. Lorsque je me suis retrouvé devant mon CDI, j'ai failli ne pas le signer. Autant j'avais accepté la précarité pendant 8 ans, en renouvellement d'un an à chaque fois, en me disant que ce n'était pas un vrai métier, juste un job alimentaire pour tenir une année de plus en attendant, et pourtant j'aimais ce job alimentaire.
J'aimais rentrer le soir crevé mais avec le sourire parce que j'avais le sentiment que j'avais vraiment apporté quelque chose aux élèves, quand bien même certains me mordaient, me blessaient avec des jets de projectiles divers, me crachaient dessus pendant leurs crises...
ce n'était pas contre moi, c'était leur façon à eux de libérer une angoisse. Et petit à petit les crises deviennent moins longues, plus espacées, et l'élève devient élève justement, serein. J'avais réussi, j'aide vraiment à un bien- être, j'apporte quelque chose de palpable aux élèves, mon métier est utile. Le mot est lâché : "métier", ce n'était plus pour moi un job alimentaire précaire mais un métier à construire, à consolider. J’ai signé mon CDI avec cette volonté: construire ce métier, pour les enfants ! Et il y a encore beaucoup à faire.
Je pense que ce sont les AESH comme toi qui ont donné leurs lettres de noblesse à un rôle méprisé. C’est cette sorte de foi intacte malgré tous les vents contraires qui force le respect; elle amène les politiques qui envisageaient les AESH comme des sortes de vulgaires chausse-pieds jetables susceptibles de faire rentrer les enfants différents dans l’école, à modifier leur regard. Quel est ton sentiment sur ce qu’a été ce rôle, sur ce que devra être dorénavant ce métier?
Je me suis penché sur les lois qui régissent déjà notre profession pour la comprendre, pour contextualiser tout cela. J'ai adhéré au syndicat qui nous accompagnait déjà depuis plusieurs années, je m'y investis aussi car c'est en défendant les collègues que je défends la profession, la professionnalisation et donc les enfants. Je ne m'occupe pas seulement des élèves qu'on m'a attribués. Je travaille finalement pour l'inclusion de tous les enfants en situation de handicap de l'Education Nationale, est-ce une vocation ?, un sacerdoce ? Une folie peut être. Mais tout scientifique et pragmatique que je sois, sur ce coup là, je fais un acte de foi. J'y crois, je veux y croire, et comme disait Mark Twain: « ils ne savaient pas que c'était impossible, alors il l'ont fait.» Et me voilà aujourd'hui à cette concertation, à apporter mon point de vue, à livrer le fruit de mes recherches et réflexions sur le métier d'AESH à élaborer devant les représentants du secrétariat d'Etat aux personnes handicapées et le ministère de l'Education Nationale. C'est un bon début, mais pas une finalité en soi. Ce n'est qu'une étape dans laquelle, soyons honnête, je n'ai pas grande foi quant à sa réussite, mais c'est une étape nécessaire. Et qui sait ? Peut-être serons-nous justement entendus et écoutés ?
Je t’ai trouvé très constructif lors de cette réunion de concertation avec Patrice Fondin. J’espère effectivement que nos efforts conjugués ne seront pas vains.Je sais que tu ne baisseras pas la garde!
Quel est pour toi le dénouement idéal qui pourrait être issu de cette concertation ?
Je ne pars pas perdant non plus, je suis juste sceptique sur la réussite, mais il faut être présent, il faut apporter nos réflexions, nos revendications, pas celles trouvées sous le sabot d'un cheval un matin, ou on était mal réveillé. Pas une plainte comme l'attendait sans doute monsieur Ruffin lorsqu'il nous a reçus également. Je ne suis pas là pour me plaindre de mes conditions, je suis là pour proposer la construction de conditions optimales dans l'intérêt des enfants que nous accompagnons tous et toutes. En tant que personnel de terrain, capable également de prendre du recul sur la situation et les enjeux, j’expérimente la réalité depuis 11 ans. En discutant avec de nombreuses collègues j'ai aussi expérimenté à travers elles les réalités d'ailleurs, de toutes les régions de France. J'ai aussi en tête les collègues qui dépendent du ministère de l'agriculture, elles font le même métier que nous mais avec les normes d'il y a 10 ans, nous ne devons pas les oublier et exiger pour elles les mêmes droits que celles de l'EN, c'est pour cela aussi que je ne parle plus d'AVS, même pour les collègues en contrats aidés, elle font le même métier que moi, elles sont AESH, comme moi !
Depuis que certains ont eu la possibilité de signer ce CDI, un levier nous a été donné, nous sommes plus nombreux, nous sommes pérennes, nous pouvons construire et non plus subir.
Nous ne sommes plus jetables, nous pouvons donc nous jeter corps et âme dans cette bataille pour notre métier, au profit des enfants en situation de handicap.
Leur bien-être passe par notre professionnalisation et notre propre bien-être au boulot, voilà ce pourquoi je me lève le matin et ce pourquoi je me bats chaque jour. C'est pourquoi je me lèverai demain aussi et après demain également. Nous avons déjà changé la donne et l'école, continuons à la changer en mieux, avec les enseignants, avec les directeurs et directrices, avec les principaux et principales, avec les proviseurs et proviseures, avec les collègues AED et CPE, avec l'ensemble du personnel des établissements, ATSEM et animateurs, personnels de cuisine et technique. Voyons plus loin que nos œillères, c'est une vision d'ensemble qu'il faut, pour les élèves, pour l'école inclusive réelle !
Le dénouement idéal pour cette concertation serait la reconnaissance des besoins réels des enfants et que ces moyens réels soient réellement affectés pour eux, pas juste de la com' bien jolie sans effet bénéfiques. Il faudrait qu'à la rentrée 2019, tous les AESH soit titularisés, avec un vrai SMIC entier pour 27h15 hebdomadaires dans les établissements, avec une vraie formation, que les effectifs des classes ne dépassent pas 25 en collège, 20 en primaire, que les profs soient enfin bien payés pour leur compétence réelle et leur niveau d'étude. Il faudrait que de nombreux postes soient ouverts pour répondre aux besoins des écoles en terme d'encadrement, que le service public soit rendu et renfloué en moyens, que le 14 février, lors de la conférence de presse, Mr Blanquer annonce cela, tout cela sans exception, pour une école vraiment inclusive, pour une école vraiment républicaine et solidaire, libre et fraternelle. Sans cette idiotie qu'est Parcoursup sans aucune des réformes déjà proposées qui détruisent plus qu'elles ne construisent, elles ne tiennent que grâce au marketing qui en est fait, mais ne résistent pas trente secondes à une analyse qui gratte un peu sous le vernis. L'école qu'est en train de construire le gouvernement actuel est un suicide volontaire du service public. L'idéal serait donc qu'ils arrêtent tous et écoutent vraiment et enfin les professionnels de terrain, et servent ceux-ci.