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· DIALOGUE

Entretien avec Tristan Yvon, président de l'association Ado'tiste par Cécile.

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Dans le film de Sophie Robert « Qu’est-ce que l’autisme ? » auquel vous avez participé, vous expliquez que votre scolarité a été chaotique, que cela a été difficile au lycée mais s’est mieux passé pendant vos études supérieures. Quels aspects ont été les plus difficiles et a contrario sur quelles ressources positives avez-vous pu vous appuyer ?

Alors mon parcours a été aussi chaotique que contrasté entre le début et la fin. J'ai été diagnostiqué très tard, en fin de CM1. J'avais évidemment des difficultés scolaires assez importantes, notamment une dyspraxie (je tiens mal mon crayon), une grande lenteur, de grosses difficultés avec le second degré (incompréhension de certaines consignes, désintérêt pour tout ce qui est abstrait). Bref, j'étais souvent considéré comme un faignant, un mauvais élève voire un insolent, et étais systématiquement victime du dédain de certaines enseignantes qui allaient jusqu’à encourager mes camarades à me harceler. Mes journées d'école étaient longues et peu constructives, la pédagogie de l'Education Nationale n'était simplement pas faite pour moi. Mes parents ont donc dû prendre le relais de l'école chaque soir pour me faire rattraper le contenu de la journée, allongeant les journées de plusieurs heures de travail, ainsi que tous les week-end et les vacances... Bref mon quotidien était extrêmement pénible et épuisant.

Au niveau scolaire la situation était donc peu agréable. En parallèle j'étais en décalage systématique avec mes camarades. Intérêts différents, incompréhension de leur humour, leurs expressions et désintérêt total pour le sport et toutes leurs activités que je trouvais sans intérêt (saut à l'élastique, jeux de raquettes,...), j'étais constamment à l'écart, ce qui m'allait bien et me permettait de me reposer. Mes seuls amis étaient les autres "bizarres" de l'école, qui vivaient d'ailleurs des difficultés similaires. Mes difficultés sociales ont été jusqu’à des périodes de harcèlement verbal et physique, encouragées par certaines instits, niées par d'autres.

Mon diagnostic a permis d'apporter une réponse à mes difficultés, mais n'a pas solutionné le cauchemar de mes années primaires, faute de bonne volonté de la part de mon école. Mon année de CM2, post diagnostic a été la pire de toutes, avec énormément de violence.

Mes années collèges ont été moins violentes, mais le harcèlement verbal a néanmoins été omniprésent, et mes difficultés d'apprentissage sont restées inchangées. Il a fallu attendre le lycée pour avoir un vrai changement, grâce a plusieurs choses :

- Une sensibilisation efficace de ma classe, via l'intervention d'une spécialiste de l'autisme. Cette sensibilisation d'une heure axée spécifiquement sur mes spécificités a beaucoup touché ma classe, et fait disparaitre totalement tout rejet au profit d'un élan de solidarité.

- Une vraie prise en compte de mes particularités et de ma fatigabilité, via plusieurs aménagements: dispense des matières les plus superflues (sport, toutes matières optionnelles), déscolarisation partielle au profit de cours particuliers pour les 3 matières les plus chronophages (Anglais, Espagnol et Maths), réduction des devoirs. Entre ma 4ème et ma seconde générale, j'ai travaillé 4 fois moins en récoltant paradoxalement de biens meilleurs résultats, et redécouvert la simple notion de loisirs.

- Un vrai intérêt pour les cours. J'ai choisi une filière technologique correspondante à mes intérêts spécifiques, dès lors j'ai quasiment arrêté d'endurer des heures de cours sur des choses qui ne m’intéressaient pas du tout, et me suis passionné pour certaines matières qui correspondaient aux plus gros coefficients aux examens. J'ai donc eu mon bac et mon BTS assez facilement, en travaillant beaucoup moins que mes camarades. Ce paradoxe entre mes années primaire et collège est assez frappant, car généralement c'est l'inverse.

Dans son livre « L’autisme expliqué aux non-autistes » coécrit avec Lise St-Charles, Brigitte Harrisson explique qu’il est important de penser l’autisme à partir du cadre de référence des personnes autistes et non de celui des neurotypiques. Trouvez-vous qu’on entend suffisamment la parole des personnes autistes ?

Est-elle mieux médiatisée ?

Au niveau médiatique on entend de plus en plus parler d'autisme, mais la description qui en est faite n'est pas forcément très consensuelle au sein de la cause. Je suis tout à fait d'accord avec Mme Harrisson, je pense que la société gagnerait beaucoup à être moins rigide, plus adaptable et inclusive envers les particularités de chacun, autiste ou non autiste d'ailleurs. On aurait sans doute moins de burn-out et de suicides si on était plus vigilant au bien- être de chacun.

Concernant l'autisme, l'adaptabilité des personnes TSA dépend beaucoup de leur profil, entre autres de leurs particularités sensorielles et leur aptitude au langage. Certaines personnes comme moi arrivent avec beaucoup d'efforts invisibles à s'intégrer dans la société, mais c'est loin d'être général, malgré tous les efforts du monde. L'autisme se plaisant bien dans ma famille, je suis aussi grand frère de deux adolescents diagnostiqués autistes "Kanner", autrement dit "sévères" ou "lourds" selon le vocabulaire de chacun, avec une déficience intellectuelle différente entre mon frère et ma sœur. Malgré un accompagnement haut de gamme depuis plus de 10 ans, ils restent lourdement handicapés et il est impossible d'envisager une inclusion en milieu ordinaire sans aide, comme j'arrive à le faire personnellement. Il est donc évident qu'il faut s'adapter, leur donner un cadre compatible avec leur bien-être et leurs capacités, sans pour autant les enfermer dans leurs particularités.

La finalité doit selon moi rester une vie la plus indépendante, "normale" et digne possible, quand c'est possible bien entendu, et avec les adaptations nécessaire, et sans oublier un accompagnement quotidien basée sur les thérapies conformes à l'état de la science pour les accompagner vers cet idéal.

Vous présidez l’association Ado’Tiste, quelles sont ses missions ?

L'association Ado'tiste (qui devient Add'autiste au premier janvier 2019) est née suite au constat que mon expérience scolaire chaotique n'était pas un cas isolé, et que les établissements scolaires et la société en général manquent cruellement d'informations sur nos particularités. Notre objet est donc d'effectuer des opérations de sensibilisation auprès de tous les publics, notamment les publics scolaires (collèges, lycées), études supérieures, entreprises, associations... Nous participons désormais à de nombreuses commissions auprès de différentes instances (Ministères, HAS,...), et sommes parfois amenés à apparaître dans les médias, avec toujours l'objectif de sensibiliser le grand public à l'autisme via des explications claires et accessibles (en utilisant l'humour notamment), de dédramatiser et d'inciter les gens à plus de tolérance envers les personnes TSA. Nous sommes particulièrement vigilants à la qualité de notre message, notamment à ce qu'il soit consensuel auprès des familles concernées par tout le spectre de l'autisme.

J’ai lu sur votre blog que votre point de vue sur la défense de la neurodiversité était nuancé, qu’elle était importante bien-sûr mais que cela ne devait pas faire oublier la nécessité de l’accompagnement et du soin. La défense de la neurodiversité pourrait-elle d’une certaine façon finir par porter préjudice à la cause des personnes autistes dans leur hétérogénéité ?

La neurodiversité est un fait en soit, nous sommes tous différents neurologiquement et il est important de savoir s'appuyer sur cette hétérogénéité pour pouvoir s'entraider au sein d'un groupe, de manière complémentaire en fonction des capacités et des intérêts de chacun. C'est d'ailleurs un peu le principe de la société. Dans ce contexte, il est intéressant de valoriser le concept de la neurodiversité car les personnes autistes ont notamment des intérêts spécifiques qui peuvent être valorisés, par exemple on cite souvent des personnes autistes célèbres qui ont brillamment réussi dans des domaines comme l'informatique.

Fort malheureusement, ces personnes là sont minoritaires, et l’hétérogénéité de la population inclut aussi de nombreuses personnes qui n'ont pas ces formidables capacités et ont besoin d'accompagnements pour compenser leurs difficultés. Au sein de la grande famille des personnes autistes, on trouve donc aussi beaucoup de personnes plus lourdement handicapées, souvent peu verbales, généralement non autonomes même adultes et donc très dépendantes. En raison de leurs difficultés leur inclusion dans la société est moins évidente, et bien que de nombreuses initiatives aient débouchées sur des exemples d'inclusion scolaire et professionnelle exemplaires, ces personnes restent parmi les premières victimes d'exclusion.

Ces personnes autistes pourtant nombreuses sont sous-représentées ces dernières années, notamment car elles ont moins d'aisance à s'exprimer, et sont souvent oubliées par leurs pairs qui ne partagent pas toujours leur quotidien et leurs difficultés. Plus pénible encore, il arrive de plus en plus souvent que des autistes revendiquant la neurodiversité viennent nous faire la leçon. Souvent ils nient l'existence de formes sévères d'autisme, ou affirment que la personne n'a pas été assez bien suivie, sans connaître le travail souvent exemplaire de leurs familles. Des amis à moi les appellent les "Yakafokon".

Plus incroyable encore, j'ai été "attaqué" récemment par des autistes que je qualifierai "d'ultralibéraux", qui jugent immoral et validiste tout apprentissage des normes de la société aux personnes autistes, y compris dans des domaines comme l'autonomie. 

A une de mes questions ils ont répondu qu'il leur était inconcevable de mettre en place des stratégies adaptées pour apprendre aux personnes autistes à prendre leur douche, que c'était à la société de mettre en place du personnel pour la leur donner toute leur vie... Cela m'a beaucoup choqué qu'ils écartent toute notion de dignité pour ces personnes, ainsi que pour leurs proches au quotidien souvent infernal, ce dont ils se foutent totalement...

Dans les deux cas, ces "neurodiversitaires extrémistes" s'opposent à certaines prises en charge essentielles, et blessent voire insultent des familles qui se sont battues pendant des décennies pour offrir les meilleures conditions de vie à leurs proches, sans connaître leur quotidien. Ils diffusent également dans les médias une vision souvent idéalisée voire fantasmée de l'autisme, qui correspond rarement à la réalité de nos quotidiens. Donc de fait oui, ces personnes nous portent préjudice, en salissant au passage un concept très intéressant voire essentiel, car comme je l'ai précisé sur mon blog, les efforts doivent venir des deux côtés. Dans mon idéal on continuerait d'aider les personnes autistes à progresser, et la société serait plus tolérante et accueillante.

Sur mon blog j'ai choisi de m'exprimer sur le sujet, car je suis concerné à la fois par l'autisme de haut niveau et l'autisme sévère. Je fais le choix de rappeler en toutes circonstances que chaque personne autiste est unique, et qu'il n'est pas possible de représenter tout le monde sur la base de sa propre expérience. Même avec mes années de recul je n'ai pas la prétention d'être représentatif, lorsque je débute une conférence, je précise bien que mon intervention leur donnera un aperçu de ce que peut être l'autisme, mais que ça n'est pas généralisable à tout le monde. Heureusement il y a de nombreux militants consensuels et constructifs qui agissent au quotidien sur le terrain, ce qui permet de nous épauler.

Que pensez-vous de la concertation lancée par Mr Blanquer et Mme Cluzel, « Ensemble pour une école inclusive », avez-vous l’impression que les choses vont dans le bon sens ?

J'ai participé à la concertation pour l'élaboration du 4ème plan autisme, je ne suis pas impliqué dans la concertation spécifique à l'école inclusive car ça n'est pas vraiment mon domaine. Tout comme dans la stratégie autisme j'ai vu pas mal d'objectifs ambitieux qui vont dans le bon sens, mais pour juger j'attends leur mise en œuvre concrète sur le terrain...

Vous citez dans le film de Sophie Robert une très belle phrase de St-Exupéry : « Si tu diffères de moi mon frère, loin de me léser, tu m’enrichis. ». Quel message essentiel voudriez-vous faire passer aux personnes neurotypiques ? A quoi devrions-nous faire plus attention au quotidien pour que l’existence soit plus simple pour vous et que notre société devienne réellement inclusive ?

C'est une très vaste question qu'il n'est pas facile de résumer ici. Les notions sur lesquelles j'insiste toujours sont l'échange et l'honnêteté pour faciliter la communication et donc la compréhension, la confiance réciproque, l'adaptation et la flexibilité quand c'est nécessaire pour respecter le rythme et les particularités de chacun, et la bienveillance. Il ne faut pas oublier que des initiatives ont prouvé que l'inclusion est possible dans les différents domaines (scolarisation, emploi...), et que les personnes autistes ont beaucoup à nous apporter.