La pédagogie Feuerstein, conversation avec Antoine Spire
Vous êtes journaliste et éditeur, pourriez-vous nous présenter vos diverses activités ?
J’ai été journaliste à France Culture pendant 23 ans sur les émissions Staccato, Panorama et Voix du silence. J’anime maintenant depuis 10 ans sur Demain TV « Tambour battant », une émission de sciences sociales, philosophie et littérature, diffusée tous les vendredis soir de 21h à 22h30.
Je suis par ailleurs directeur de quatre collections aux éditions du Bord de l’eau et enfin vice-président de la LICRA (Ligue Internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme) et rédacteur en chef de son journal « Le droit de vivre ».
Vous avez écrit le livre « La pédagogie à visage humain » publié aux éditions du Bord de l’eau, sur la méthode Feuerstein, en quoi consiste celle-ci ?
Reuven Feuerstein ( 1921-2014) est ce pédagogue israélien qui a travaillé à récupérer les enfants bouleversés par la Deuxième Guerre mondiale lors de la création de l'Etat d'Israël. Il s'est occupé d'enfants juifs européens et nord-africains rescapés de la Shoah. Soumis à des tests psychométriques, ces enfants obtenaient des résultats qui dénotaient un retard intellectuel de 3 à 6 ans par rapport à la norme. Feuerstein s'est aperçu que si les tests pouvaient rendre compte des connaissances de l'enfant ils ne permettaient pas pour autant de mesurer leur capacité d'apprentissage. Il importait donc avant tout de débloquer le processus intellectuel et émotionnel permettant aux enfants et aux adolescents d'acquérir des connaissances. A travers des milliers de patients, le Professeur Feuerstein a acquis la conviction qu'il était possible d'apprendre à apprendre, et ce d'une manière continue.
Son programme d'enrichissement instrumental consiste donc à créer chez tous ceux qui présentent un immobilisme intellectuel les conditions physiologiques et psychologiques leur permettant de faire face de manière autonome aux différents événements auxquels ils seront confrontés.
Son programme d'enrichissement instrumental a été diffusé il y a maintenant 30 ans par des universitaires de Paris-V, parmi lesquels, la psychiatre Rosine Debray, Alain Moal et bien d'autres. Il est intéressant que les résultats en soient parfois discutés, mais il a permis à des maîtres exerçant dans des contextes particulièrement difficiles de reprendre courage, ce qui est essentiel.
Comment ne pas s'associer au pari qui préside à l'initiative du Professeur Feuerstein :
"Toute personne est capable de changement quels que soient son âge, son handicap et la gravité de son handicap." ?
Cette théorie du changement et de l'apprentissage par médiation s'appuie sur deux applications pratiques : la méthode d'évaluation dynamique du potentiel d'apprentissage et le programme d'enrichissement instrumental.
Le professeur israélien qui se qualifiait lui-même d'optimiste forcené a prouvé que la foi en la nature humaine pouvait déplacer des montagnes. Suite au succès obtenu avec des enfants retardés il s'est aussi consacré à l'insertion des trisomiques légers dans la société. Les résultats obtenus en Israël semblent dépasser toutes les espérances, certains de ses protégés travaillant actuellement comme auxiliaires aussi bien dans l'armée israélienne que dans des homes pour personnes âgées.
La France, après s'être saisie de la méthode Feuerstein, l'a noyée sous des débats picrocholins touchant aux conflits de territoire entre disciplines de recherche.
Comment l’avez-vous rencontré ? Comment s’est passée l’écriture du livre ?
A l’époque je travaillais avec David Khayat, cancérologue de la Pitié Salpêtrière qui était consultant auprès de Jacques Chirac sur les problèmes liés au cancer. Chirac avait rencontré Feuerstein et avait proposé à Khayat de monter un colloque sur l’oeuvre de ce pédagogue israëlien. Les universitaires Rosine Debray et Alain Moal travaillaient déjà sur ce sujet depuis les années 90.
J’ai aidé David Khayat à monter ce colloque d’une journée à la Sorbonne. Le livre est le compte-rendu de celui-ci.
Il contient un dialogue que j’ai mené avec le Professeur Feuerstein ainsi que les diverses interventions du colloque.
Qu’est-ce qui vous a particulièrement touché dans cette méthode ?
Selon moi nous sommes définis par nos rapports sociaux. Les gens sont du temps accumulé. Ce sont nos rapports avec les autres qui nous constituent. Et justement dans cette méthode on change l’apprenant par la médiation. Feuerstein était proche de la pensée de Piaget mais ce n’était pas un théoricien. C’était un homme d’expérience et il a créé une pédagogie active à partir de l’environnement social.
Comment expliquez-vous que cette méthode soit encore peu diffusée en France et utilisée dans quelques structures seulement ? Je l’ai découverte pour ma part en lisant les livres d’Olivia Cattan,« D’un monde à l’autre », et de Mariana Loupan, « Le voyage d’Anton ».
Je crois que les Français ont du mal à sortir de l’échelle nationale et à s’intéresser à ce qui se développe au niveau international. Mais le centre Feuerstein à Jérusalem est toujours très actif et il est maintenant dirigé par le fils de Reuven Feuerstein, Rabbi Rafi Feuerstein.
Cécile G.