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· HUMEUR

Notre tribune dans Le Parisien: 

La loi sur le handicap de 2005 est un infâme bricolage.

Nous travaillions déjà ensemble depuis un certain temps, Cécile enseignante, Manuela et moi-même Sabine, AESH. Nous parlions beaucoup chaque jour de la place que nous tentions d’aménager aux enfants différents dans la classe, de nos petites réussites, de nos profonds découragements aussi.

Nous tentions de faire front aux difficultés, à la violence des situations auxquelles nous étions confrontées sans filet. Ces écueils sur lesquels nous nous abattions sans préparation: les troubles déroutants et déchirants de certains des enfants auxquels nous n’avions parfois aucune solution à apporter, notre constat d’ignorance

devant l’attitude adéquate à adopter. La diplomatie à exercer devant le déni des parents, la patience à garder face

à certains intervenants extérieurs drapés dans une tour d’ivoire en toc, le rôle ingrat pour un salaire indigne réservé aux avs.

Nous inventions ensemble des chemins de traverse, des raccourcis, des ponts et des tremplins pour faire

la courte échelle à ces enfants différents dans une école taille unique.

Les liens solides et harmonieux, riches et féconds ainsi tissés entre nous au quotidien ont considérablement facilité notre tâche délicate.

Nous partagions le goût des mots, c’est donc tout naturellement que nous avons décidé de poursuivre notre dialogue par écrit.

Notre témoignage terminé, nous avons sollicité quelques journalistes. Sensible à notre propos

Marie-Christine Tabet, rédactrice en chef au Parisien, nous a proposé de l’exposer dans une Tribune dans les pages Opinions. Cette Tribune est parue dans le Parisien Dimanche en date du 14 octobre 2018.

Voici cet article :

Le rapport du Haut Conseil de la Famille, de l'Enfance et de l'Age remis au gouvernement en août dernier rappelle l'importance de créer une école et une société inclusives.
Sur le terrain on est très loin du compte. L'application de la loi d'intégration du 11 février 2005 est en réalité un infâme bricolage. Les accompagnants des élèves en situation de handicap ne sont pas suffisamment formés, leur rémunération est indécente et ils doivent exercer leur fonction pendant six années avant de pouvoir prétendre à un contrat à durée indéterminée. Ils manquent de reconnaissance, sont souvent cantonnés dans des rôles d'exécution et déplacés comme des pions.
On a cru pouvoir faire l'économie de repenser le fonctionnement de l'école suite à la loi de 2005 et on a largement sous-estimé les changements qu'elle allait induire dans les pratiques quotidiennes.

Les AESH devraient être sérieusement formés, leur expertise après plusieurs années auprès d'enfants handicapés reconnue et leur rémunération correcte. Il faudrait qu'ils soient intégrés aux réflexions des équipes car ils sont ceux qui suivent l'enfant jour après jour au plus près de ses évolutions. Si les enseignants eux-mêmes étaient vraiment accompagnés, on éviterait certaines réactions de peur et de rejet devant des pathologies qui peuvent inquiéter. Cette loi a bouleversé l’exercice de leur métier. La présence d’enfants fragiles nécessite une gestion de groupe très particulière et une adaptation quotidienne de leur pédagogie pour que chaque élève puisse progresser et soit reconnu dans ses besoins spécifiques. Enfin il serait souhaitable que la communication entre l’école et les centres de soins soit plus régulière afin que tous les partenaires autour de l’enfant travaillent dans le même sens.

Quel formidable gâchis que ce système qui crée de la souffrance pour tous: enfants laissés pour compte, parents floués, AESH se sentant humiliés et enseignants dépassés !
Cette organisation bancale ne tient en réalité que par la bonne volonté de personnes qui prennent à cœur leur mission malgré des conditions de travail déplorables et qui finissent par s'épuiser faute de moyens réels et de reconnaissance. 

Il serait temps que notre pays sorte enfin de ce cynisme insupportable sur le dos des plus fragiles et se dote de moyens réels et dignes pour mener à bien cette mission d'intégration.

Quel formidable gâchis que ce système qui crée de la souffrance pour tous. Après un an de travail approfondi sur ce sujet qui nous préoccupe depuis longtemps, nous avons décidé d'alerter Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale et Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées. Nous leur avons envoyé le fruit de nos observations et de nos réflexions, afin qu'ils prennent conscience de toute urgence de l'envers du décor d'une loi qui a déjà 13 ans. Les fondations de celle-ci sont toujours viciées alors même qu'ils ont réaffirmé en juillet dernier leurs nouvelles ambitions en matière d'inclusion.
Nous ne pouvons plus nous taire à moins de devenir complices de cette duperie que les négligences accumulées de l'institution ont laissé s'installer dans l'indifférence générale.

Jeudi, nous bouclions cette tribune, lorsque le député (LR) Aurélien Pradié présentait sa proposition de loi sur l'intégration scolaire. Celle-ci prévoyait une redéfinition du statut des AESH et un accès facilité au CDI. Face à son rejet massif par les députés LREM, le député (FI) François Ruffin poussait à l'Assemblée Nationale un coup de gueule avec sa rage coutumière. Nous savons à quel point ce genre de coup de projecteur est éphémère.

Puisse-t-il servir de levier durable pour améliorer enfin la scolarisation des enfants handicapés !