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· LECTURES ET FILMS

Ted, drôle de coco, Emilie Gleason aux éditions Atrabile

C’est un coup de poing efficace dans un gant raffiné.

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Ce drôle de Coco aux grandes jambes déboule à coups de traits nerveux tout au long de ce roman graphique aux couleurs vives.

La mise en page se transforme, épousant le scénario d’une façon extrêmement inventive.

Emilie, diplômée des Arts Décoratifs de Strasbourg croque le quotidien de son étrange frère aux longues jambes d’un trait précis et puissant. Armée de son talent et de son humour, elle brave son chagrin, vide sa colère, venge les humiliations subies par son frère, se moque des sentences biaisées des hommes en blouses blanches, et jette un sort aux ignorants.

Ted travaille dans une bibliothèque, routine millimétrée métro-boulot-dodo qui dissimule mal une vie entravée par des rituels exténuants, des tocs et des tics, des routines et des repères. Tous ces multiples subterfuges pour survivre chez les « normaux ».

Un grain dans le rouage de cet équilibre précaire, et les événements s’enchainent dans une cocasse et dangereuse cascade. Jusqu’au monde des traitements et des camisoles qui diluent et effacent les couleurs sans discernement.

Quand Emilie nous présente Ted, elle n’évoque pas le nom de ce syndrome (Asperger) qui se mesure sur l’étrange et mystérieuse échelle du spectre autistique.

Elle nous plonge en apnée dans l’univers sans filtre de Ted, elle nous entraine dans un tourbillon tour à tour comique et loufoque, tragique et violent. On est aspiré dans les méandres de ses tocs, de ses angoisses,

de ses humiliations. On comprend la gymnastique de sa logique, ses éclairs de lucidité. On subit ses traitements médicaux erratiques, l’enfer du désordre distillé par ses troubles dans le quotidien familial. Car il fait pleurer ses parents souvent, le soir. On est à ses côtés encore, souffrant de ses incompréhensions, des violences, de l’ignorance dont il est victime.

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Si le sujet est lourd et difficile, la réussite du traitement est totale dans le fond et dans la forme. On ressort de ces pages bousculé, autant exténué que Ted par cette cavalcade qui ressemble à une course d’obstacles aussi invisibles qu’imprévisibles.

Emilie ajoute quelques lignes brèves en exergue de son ouvrage, soulignant ce qu’elle a eu le talent de nous faire expérimenter :

« draguer n’est pas inné, l’humour c’est complexe et l’imprévu dans la vie c’est comme une arête

dans la gorge, elle arrive brusquement et passe très mal »

Dans ce drôle de Ted qui enchante et pourrit aussi la vie d’Emilie Gleason il y un peu de son frère bien-sûr,

mais il y a aussi tous les drôles de coco de son espèce qu’elle révèle tout en leur elle offrant une belle dignité

à grands coups de crayons de couleur rageurs.

Emilie aimerait faire une BD à destination des écoliers, pour les aider à comprendre ce qu’est le syndrome d’Asperger. Je suis certaine qu’en sa compagnie malicieuse, audacieuse et percutante, ils feront connaissance avec ce qu’elle nomme ce genre d’ovni.

En gommant les peurs et les ignorances, elle sera, je l’espère, à l’origine de la réussite de ces rencontre

du troisième type…

Sabine K.

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