Entretien avec Fabien Toulmé, auteur de "Ce n'est pas toi que j'attendais" par Sabine.
Dès la couverture on est happé, interpellé par votre livre. Elle ressemble à une affiche, concise et percutante.
Elle m’avait frappée bien avant que je ne lise ce roman graphique. Il est beau et utile, singulier dans le trait,
dans le ton. Ce n’est pas un témoignage de plus car c’est d’abord une histoire.
Il se trouve que cette histoire est la vôtre.
Vous étiez ingénieur, vous aviez tout juste décidé de tenter de vivre de votre passion, la BD, quand Julia, votre seconde fille, est née avec une trisomie non détectée.
Votre livre est en fait l’objet d’un double bouleversement. Conçu suite à l’arrivée «inattendue» de Julia, son succès vous a propulsé dans votre nouvelle vie professionnelle.
Comment avez-vous négocié cette zone de turbulences qui a secoué toutes vos certitudes ?
Pour ce qui est de la première zone de turbulences, la naissance de Julia, comme je le raconte dans le livre c’est la transformation d’une vie, non seulement la mienne mais celle de toute la famille. Je pense que je le décris
de façon suffisamment précise dans le livre. Justement c’était vraiment l’objet de cet ouvrage, c’était faire une espèce de documentaire sur ce qui se passe dans la vie d’un père ou d’un parent quand il découvre que l’enfant
qu’il a imaginé pendant la grossesse est complètement différent et toute la phase de «deuil» qui s’ensuit, jusqu’à la rencontre avec l’enfant qui est réellement arrivé et puis l’apprentissage de l’amour de cet enfant qui vient
petit à petit.
Et pour ce qui est de la seconde zone de turbulences, la parution de mon livre, elle n’a pas vraiment secoué mes certitudes parce qu’elle était plutôt impatiemment attendue, même si inespérée, puisque ça faisait dix ans que je travaillais comme ingénieur et que je souhaitais vraiment depuis l’enfance faire de la bande-dessinée. Donc le fait de voir que mon livre avait des répercussions, marchait et que ça me permettait petit à petit de faire la transition, ce n’était pas une zone de turbulences, c’était quelque chose à la fois de très surprenant mais en même temps quelque chose de très agréable, comme l’accomplissement d’un rêve d’enfant qui se réalise.
Vous contribuez avec efficacité à dépoussiérer la façon d’aborder le handicap. Vous dédramatisez le plombant, sans édulcorer les sentiments inavouables qui vous ont traversé.
Avez-vous maintenant acquis les codes de «Handicap Land», en avez-vous déjoué tous les pièges ?
En fait «Handicap Land» c’est un parc d’attractions sans fin, avec toujours des nouvelles attractions. On apprend à maîtriser les choses, on ne les maîtrise jamais vraiment mais on apprend petit à petit les différentes étapes de ce qu’est d’abord l’enfance d’un enfant porteur de trisomie 21. Il y a certaines spécificités et certaines choses à apprendre mais aussi déjà dans un premier temps il faut apprendre à connaître son enfant puisque tous les enfants qui ont une trisomie 21 ne sont pas équivalents. Il y a la fois la connaissance du handicap et également de son enfant. Puis après, quand l’enfant grandit, les problématiques changent. La façon d’appréhender les choses changent. Donc non, je n’en ai pas fait le tour et il me reste pas mal d’attractions à emprunter.
Le succès de votre livre ne vous engage-t-il pas à poursuivre œuvre utile:
sensibiliser et modifier le regard porté sur la différence ?
Je ne crois pas qu’il faille envisager sa carrière au regard du succès d’un livre quand bien même il aurait un message. Je ne l’ai pas écrit pour transmettre un message en fait, de façon très humble je l’ai écrit parce que je trouvais que c’était une belle histoire. Donc ma seule préoccupation c’est de faire des histoires à la fois qui me touchent et qui me donnent envie de les raconter. Il se trouve que les choses qui me touchent dans mon environnement peuvent avoir un lien avec la différence ou avec l’autre. Par exemple mon dernier livre «L’odyssée d’Hakim», sur l’histoire d’un réfugié, rentre un peu dans cette catégorie mais je ne fais pas de la bande-dessinée comme une espèce de mission, je le fais juste parce que c’est quelque chose qui me plaît et je pense que je fais bien ce qui me touche. Il ne faudrait pas que je me force à faire des choses pour une quelconque mission, je pense que ce ne serait pas forcément rendre service à la fois à la thématique que je voudrais défendre ou aborder et puis au livre parce que ça aurait plus l’air d’un livre de communication que d’une histoire. Voilà comment j’aborde les thématiques de mes livres quand je choisis de faire une bande dessinée.
Vous continuez à interpeller vos lecteurs sur des thèmes forts, la réalisation personnelle (justement...)
dans « Les deux vies de Baudouin »(2017) et le récit-reportage d’un réfugié « L’Odyssée d’Hakim »(2018).
J’ai lu avec plaisir que vous feriez peut-être plus tard un contrepoint à votre livre « Ce n’est pas toi que j’attendais » avec la vision de Julia. Elle nous livrera la façon dont elle nous voit, nous, les non trisomiques.
Comme vous le dites, pour certains brésiliens, c’est le bébé qui choisit ses parents à la naissance: elle aura ainsi l’occasion de vous expliquer pourquoi elle vous a choisis…
(bien qu’à vous lire, on ait déjà une petite idée…)
Enfin, Julia doit être aujourd’hui une bien jolie petite fille, comment va-t-elle ?
Oui elle va bien, elle a neuf ans. Comme je le disais auparavant, il y a un double apprentissage.
Avec son enfant il y a déjà un apprentissage tout court puisqu’on apprend à le connaître, à l’élever, à l’éduquer. Avec Julia il y a un double apprentissage puisqu’il y a également l’apprentissage de la problématique de la trisomie qui implique des choses à mettre en place au fur et à mesure, ça on le fait avec Julia et elle va bien, elle grandit bien. Elle est une petite fille très heureuse.