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· DIALOGUE

Entretien avec Sophie Robert, une réalisatrice engagée et lanceuse d'alerte, par Cécile.

Comment en êtes-vous venue à vous intéresser à l'autisme ?

Par hasard. J'ai commencé à réaliser une série documentaire sur la psychanalyse, je voulais savoir où en était de la théorie et de la pratique. J'ai rencontré plusieurs psychanalystes. Pour eux tout le monde va mal. On est névrosé quand on est sous influence paternelle et on développe une psychose si on est sous influence maternelle. Pour eux l'autisme est la pire des psychoses. J'avais des extraits d'interview avec des propos très choquants de psychanalystes sur l'autisme. Ils faisaient écho à des situations préoccupantes dont j'avais entendu parler et qui se vivaient dans le secret des cabinets. J'ai donc décidé de faire : « Le mur : la psychanalyse à l'épreuve de l'autisme »pour dénoncer cette situation et exposer ces propos. Mais je ne voulais pas en rester là. J'ai réalisé ensuite « Quelque chose en plus » pour que les gens puissent voir ce qu'ils pouvaient attendre de l'ABA. Je voulais aller à l'encontre de la désinformation pratiquée par certains psychanalystes qui disent que c'est du dressage. Je souhaitais également protéger les familles contre les escrocs de l'ABA qui vont saigner à blanc des familles aux abois et prêtes à tout pour aider leur enfant.

Trois des psychanalystes interrogés dans « Le mur » vous ont attaquée en justice et vous avez finalement gagné le procès en mars 2018. Votre film a libéré la parole des parents d'enfants autistes et vous avez été très soutenue par des associations de parents. Comment avez-vous vécu cette période tourmentée et comment avez-vous envisagé ce rôle de porte-parole qui vous a finalement été attribué malgré vous ?

Cette période a été d'une violence sidérante. Je n'avais jamais eu affaire à des avocats et à des magistrats. En deux mois ils ont réussi à faire censurer le film à partir d'un dossier qui était presque vide. Ils ont rendu un jugement pro analytique absolument délirant. Ils ont voulu m'isoler professionnellement et m'empêcher de poursuivre mon travail. Mes partenaires prenaient peur. J'ai gagné à deux reprises : en 2014 le jugement précédent a été invalidé, mon travail a été réhabilité et j'ai obtenu une réparation pour le préjudice. Et en mars 2018 les trois psychanalystes ont été condamnés à me verser des dommages et intérêts pour les deux ans de censure du film.

Ce qui m'a fait tenir c'est que du jour au lendemain j'ai été en contact grâce à Facebook avec des milliers de personnes : parents, professionnels. Ces échanges m'ont nourrie et portée. Les gens comptaient sur moi, ils disaient que mon film leur avait ouvert les yeux, qu'il y avait un avant et un après le mur . Un père m'a dit que mon film avait sauvé la vie de son fils. Le film, pendant la période de censure, était sur youtube et il a eu un impact énorme : beaucoup de gens se sont rencontrés sur Facebook autour du « Mur ». Ce film a été un catalyseur. C'est très gratifiant en tant que réalisatrice de faire un film qui répond aux besoins des gens et fait avancer les choses.

Votre film « Quelque chose en plus » sorti en 2014 montre l'efficacité de la méthode ABA pour faire apprendre et progresser les enfants autistes. La France est connue pour son retard dans l'utilisation de cette science. Où en est-on aujourd'hui dans la diffusion de cette méthode ? Les formations sont-elles plus nombreuses ? Les soins sont-ils mieux pris en charge financièrement par l'État ?

Les choses évoluent un peu, mais à la marge. Il n'y a toujours qu'un seul Master ABA, à Lille 3. Il y a également des DU (formation en deux ans) dans des villes comme Nantes, Toulouse. C'est une formation de qualité, mais plus courte. A Toulouse le CERESEA forme au Modèle de Denver (ABA pour les tout petits). Beaucoup de gens se forment au Canada, ou en Espagne. Sinon il y aussi des psychologues en libéral qui sont formés à l'ABA. Mais il reste de fortes inégalités dans l'offre de soins sur le territoire français. Les allocations des MDPH ( Maisons Départementales des Personnes Handicapées) qui sont normalement destinées à l'aide à la personne peuvent aussi servir à rémunérer des professionnels quand les MDPH sont plus souples et l'autorisent.

Vous avez réalisé une série de quatre programmes vidéo pédagogiques dédiés à l'inclusion scolaire des enfants autistes : « Enfants autistes : bienvenue à l'école ». Comment ce projet est-il né ? Etait-ce une commande de l'Education Nationale ?

A l'issue des projections de « Quelque chose en plus » j'ai rencontré beaucoup d'enseignants qui me disaient qu'il ne disposaient d'aucune information su la prise en charge de l'autisme et étaient livrés à eux-mêmes dans l'inclusion scolaire. Les conférenciers qui interviennent dans les formations de l'Education Nationale ont souvent des connaissances datées et pas d'expérience du terrain. J'ai donc décidé de réaliser « Enfants autistes, bienvenue à l'école ! » pour donner des informations concrètes. Ce film n'est pas du tout une commande, mais le fruit d'une démarche militante. Cela a été un parcours du combattant pour obtenir l'autorisation de l'Education Nationale de filmer des enseignants du public dans leur classe, sous l'ancienne mandature. Aujourd'hui le climat a changé. Le Ministère de l'EN semble aujourd'hui beaucoup plus pro actif par rapport à l'inclusion. Ils se sont emparés de la série Enfants Autistes Bienvenue à l'Ecole pour la diffuser largement en interne.

Il me semble que ce que montre votre film c'est la façon dont dans certains endroits l'inclusion scolaire se passe au mieux et peut devenir inspirante. Sur le terrain, ce que je vis et ce que je constate, en observant ou en écoutant des collègues, c'est qu'on est dans un bricolage permanent. Avez-vous été aussi, lors de votre préparation du film, témoin de cette réalité-là ?

On est dans un grand paradoxe. Beaucoup d'enseignants et d'AESH ( Accompagnants des Elèves en Situation de Handicap) recherchent des informations, essaient de se former au sein d'associations. D'un autre côté des professionnels du handicap voudraient aider et se font rejeter. J'ai aussi des retours d'AESH motivés mais qui travaillent avec des enseignants qui ont une haine des AESH. Ils se sentent insécures dans leur manière d'enseigner et ont du mal à accepter un regard dans leur classe.

Jean-Michel Blanquer et Sophie Cluzel ont lancé en octobre dernier la concertation « Ensemble pour l'école inclusive ! », constatez-vous une évolution positive ?

Le climat a changé depuis deux ans. On sent qu'il y a une vraie conviction sur l'inclusion scolaire et pas simplement de la com. J'ai d'ailleurs été sollicitée récemment pour participer à un colloque international sur l'inclusion scolaire. Dans un système carencé ça va globalement moins mal. Je commence à recevoir des retours positifs de parents. Le problème dans l'Education Nationale c'est qu'on ne peut pas virer les gens qui font des dégâts. Et d'un autre côté il y a une très mauvaise communication sur les talents. Il faut mettre au coeur du système des gens convaincus.

Pourriez-vous nous présenter votre prochain film, « Le phallus et le néant », qui sort le 16 janvier prochain ?

Ce film devait être en fait le premier de ma série sur la psychanalyse. Il est dédié à la théorie sexuelle des psychanalystes, qui fonde toute leur théorie et qui est très diffamante à l'égard des femmes, et des personnes victimes de violences sexuelles.

Ces théories font des dégâts effroyables dans les établissements psychiatriques et les secrets des cabinets. Or Freud est toujours enseigné au programme du bac, sans aucun regard critique. Une erreur historique qui doit changer.

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