Pourquoi j’ai décidé de quitter l’Education Nationale...
par Cécile.
J’enseigne depuis douze ans. J’ai exercé mon métier en CLIS et en maternelle. Pour moi, accompagner des enfants, leur donner confiance en eux, éveiller leur désir d’apprendre et les aider à déployer leur personnalité est une très noble mission.
Mais aujourd’hui je n’y crois plus. Les conditions de travail que le système nous impose ne me permettent plus
de travailler dans le respect de mes valeurs. Et je me suis toujours promis d’arrêter ce métier quand j’aurais perdu
la foi.
Désormais l’Education Nationale nous demande d’enseigner mais surtout d’éduquer et elle nous confie également le soin d’intégrer des enfants handicapés. Toutes ces missions sont louables et justes mais elles deviennent impossibles et inhumaines quand on ne les assortit pas des moyens nécessaires.
Actuellement j’enseigne à 40 % et j’éduque à 60 %.
Je dois rappeler à certains parents ce qui me semble pourtant du bon sens : parler à ses enfants, ne pas leur mentir, leur donner des repères. Par exemple ne pas dire à son enfant en l’accompagnant qu’il n’ira pas au goûter alors que c’est le cas, pour éviter un conflit.
Je dois apprendre à des enfants devenus rois qu’ils ne doivent pas parler sans cesse, à tort et à travers,
qu’ils sont sous l’autorité d’adultes qu’ils doivent respecter. Par exemple, qu’on ne dit pas « salut » à un adulte mais « bonjour ».
Aujourd’hui nombre de familles sont dépassées et il faudrait que nous enseignants palliions cette carence éducative.
Les enfants qui réclament une attention individuelle sans cesse sont aussi de plus en plus nombreux.
Il me semble parfois que certains d’entre eux ne sont plus écoutés, qu’on ne leur accorde plus une véritable attention à la maison.
Enfin je suis effarée par la façon dont la violence est devenue un langage pour certains:
non seulement ils tapent ou poussent leurs camarades quand ils veulent quelque chose à tout prix ou qu’ils ne supportent pas une quelconque frustration mais ils donnent aussi des coups gratuitement, comme ça, en passant. Et je ne supporte plus d’avoir la sensation de ne plus pouvoir protéger mes autres élèves.
Malgré tout il nous faut enseigner, tirer vers le haut le plus d’enfants possible. Avec une telle ambiance de classe qui implique de s’arrêter sans cesse pour reprendre des enfants ou gérer des conflits. Il m’arrive parfois d’être confuse, de ne plus retrouver le fil de ma pensée tellement j’ai été interrompue.
Chaque année aussi je réduis mes exigences, parce que l’attention des élèves diminue.
Je passe un temps important à les faire chanter ou à leur lire des histoires parce que ce sont des moyens efficaces pour obtenir leur écoute. Dans cette société des écrans et du zapping beaucoup n’ont plus l’habitude de se taire et d’écouter, simplement.
A cela s’ajoute le défi de l’inclusion scolaire.
En douze ans je n’ai reçu aucun véritable stage de formation sur le handicap. Je me suis formée seule en lisant, en allant chercher des informations disponibles. Cette année j’ai deux élèves avec une reconnaissance de handicap et un élève avec des difficultés psychologiques sur une classe de 25 enfants. L’AESH mutualisée est régulièrement en formation sur le temps scolaire. Il me faut donc me débrouiller dans ces cas-là. Elle cherche actuellement un autre emploi, davantage rémunéré, on la comprend aisément. Je n’ose imaginer ce qui se passera quand elle partira en cours d’année scolaire et qu’il me faudra gérer seule tous ces élèves.
Depuis plusieurs années il m’a fallu organiser ma vie personnelle pour tenir le coup
physiquement et nerveusement.
Je ne sors jamais le soir en semaine, je ne pars jamais en week-end et je suis couchée à 21h30, avant mes enfants adolescents. Simplement parce qu’avec les conditions actuelles de travail je ne tiendrais pas le coup autrement. Je refuse que mes élèves subissent des cris liés à ma fatigue alors je gère ma vie de façon à pouvoir conserver au maximum ma patience et mon écoute avec eux.
Cette année j’ai réalisé que j’en avais assez.
J’ai de multiples compétences autres que l’enseignement qui ne sont ni prises en compte ni valorisées par le système : organiser des événements, nouer des partenariats, rédiger et piloter des projets.
L’Education Nationale est une véritable machine à éteindre les talents. Elle ne sait tout simplement pas utiliser les ressources de ses personnels et les laisse se tarir faute de reconnaissance.
J’ai pris un rendez-vous avec mon Inspectrice au mois de septembre dernier pour lui signifier mon ras-le-bol et mon désir de me reconvertir. Cela n’a pas semblé l’affecter. L’Education Nationale ne retient pas ses enseignants motivés et sérieux. Je suis sortie de ce rendez-vous avec la sensation non pas d’avoir été entendue mais d’avoir dit à ma supérieure hiérarchique ce que je pensais de ce système malade : un vaste bricolage.
Créer ce blog avec mon amie Sabine Komsta a été une véritable bouffée d’oxygène et m’a fait réaliser à quel point mon choix était le bon. Aujourd’hui j’ai décidé de prendre une autre route et même si je n’en connais pas encore la destination je sais que le voyage sera riche, créatif et plein de belles et porteuses rencontres.